Pour la radio du cinéma, David Marmier a rencontré Juan Sebastián Torales, réalisateur argentin, dont le premier long-métrage, Almamula, est sorti le 7 août 2024. Un film à la fois introspectif et engagé. Né à Santiago del Estero, une ville d'Argentine marquée par un climat aride et une culture provinciale stagnante, Torales a quitté son pays natal pour la France il y a vingt ans, en quête d'une terre où ses aspirations artistiques pourraient s'épanouir. "En Argentine, vivre, c'est survivre. En France, j'ai trouvé un lieu où la culture est respectée", confie-t-il, évoquant une histoire d'amour avec la langue et la culture françaises qui l'a poussé à s'installer à Paris.

Juan Sebastián Torales, qui a grandi dans une maison remplie de photos prises par son père médecin, a fait ses premiers pas dans le cinéma avec des caméras amateurs. Son premier court-métrage, une parodie d'horreur où il filmait son neveu dont il était jaloux, fut le début d'une vocation façonnée par une enfance marquée par l'ennui et les difficultés d'une petite ville isolée. Cette enfance, ses blessures et les injustices dont il a été témoin, sont au cœur d'Almamula, un projet qu'il a mûri pendant huit ans.

Le film, dont le titre renvoie à une légende populaire de sa région, est une œuvre profondément personnelle. "Almamula est né d'une volonté de guérir des blessures d'enfance", explique Juan Sebastián Torales. Ces blessures, qu'il décrit comme étant "jamais guéries", ont façonné une œuvre où l'introspection se mêle à la dénonciation sociale. Le film aborde avec pudeur mais sans détour la violence latente qui imprègne les relations humaines dans sa ville natale, que ce soit à travers le racisme, le classisme ou l'homophobie.

L'un des éléments clés d'Almamula est son protagoniste, Nino, un jeune garçon interprété par Nicolas Diaz, un adolescent originaire de la même région que le réalisateur. Juan Sebastián Torales se souvient du moment où il l'a rencontré lors d'un casting ouvert qui a attiré 2 000 personnes : "C'était le premier à entrer, et tout de suite, j'ai su que c'était lui. Il imposait une sérénité et un calme impressionnants." Le choix de Nicolas, qui n'avait aucune expérience préalable, s'est imposé comme une évidence malgré les doutes initiaux de Torales.

Le film, qui a bénéficié d'une coproduction internationale, est le premier à être tourné dans cette région d'Argentine à ce niveau de production. "Je ne m'attendais pas à un tel soutien", admet le réalisateur, surpris par l'accueil réservé à son projet aussi bien en France qu'en Argentine.

Visuellement, Almamula est un film d'une grande beauté. Les cadrages serrés et une utilisation ponctuelle du son participent à une atmosphère immersive, où chaque scène semble chargée d'une tension palpable. "Je voulais faire un film de sensations, pas d'émotions ", précise Torales. Cette approche se traduit par un traitement suggestif des scènes de violence, où l'implicite devient plus puissant que l'explicite. "La violence est partout, inutile d'en faire des tonnes", dit-il, soulignant que la première scène du film, brutale et sans équivoque, conditionne émotionnellement tout ce qui suit.

Almamula est avant tout un film sur les sensations et les ressentis. Juan Sebastián Torales nous plonge dans un univers où chaque personnage, bien qu'ancré dans la réalité, conserve une part de mystère. "Les êtres humains sont des boîtes mystérieuses", affirme le réalisateur. Cette approche se traduit par un film où l'élégance et la retenue dominent, tout en laissant transparaître une profonde empathie pour ses personnages.

En sortant de la projection d'Almamula, le spectateur est marqué par une expérience sensorielle intense. Juan Sebastián Torales réussit à créer un lien entre son propre parcours, fait d'exil et de quête identitaire, et celui de ses personnages, tous en proie à leurs propres démons. À travers ce premier long-métrage, il se place d'emblée comme un réalisateur à suivre.