Comme beaucoup le savent, Apple a annoncé sa nouvelle tablette à usage professionnelle et l’un des arguments, l’une des différences avec les autres iPads, c’est la possibilité d’utiliser un stylet.
Or en 2007, lors de l’introduction de l’iPhone, Steve Jobs clamait “nobody wants a stylus”. Personne ne veut de stylet.

Cela a amené un débat stérile entre ceux qui prennent la parole de Jobs comme parole d’évangile et les autres, qui passent pour des moutons aveuglés par la lueur de la Sainte Pomme.

Alors, Steve Jobs aurait-il eu tort? Tim Cook aurait-il trahi le messie?

Pour cette première chronictech, on va être bourrins et on va remonter au tout début de l’humanité.

Nous utilisons des outils depuis toujours parce que nos mains sont des outils absolument formidables d’adaptabilité, mais comme souvent: quand on fait de tout, on n’est moyen en tout.

Nos poings ne peuvent efficacement casser la pierre ou creuser la terre, la moindre “usure” met des jours à se réparer.

Mais il y a deux domaines dans lesquels nos mains excellent: toucher et surtout saisir des trucs.

Malheureusement, pour avoir une accroche ET capter les informations, nous avons besoin de surface de contact et cela nous condamne à avoir des doigts en forme de boudins mous, et des ongles plats plutôt que des griffes acérées à la manière d’un chat.
Les ongles (entre autre fonction) soutenant l’appui effectué au niveau des empreintes digitales et permettant la saisie de petits objets.

L’une des grande force de l’être humain c’est le jeu, cette faculté que nous avons de nous émerveiller et d’expérimenter…
Et bien à force de jouer avec ces objets que nous pouvions saisir, nous avons commencé à interagir avec notre environnement et entre autres à marquer notre monde avec nos doigts mais aussi avec des pierres, gravant définitivement les parois des grottes ou autres rochers.
Avec nos doigts nous avons aussi laissé des traces de pigments divers pour dessiner facilement les formes complexes des objets et bêtes qui nous entouraient.

De cette interaction et son impact à long terme est née l’idée même de la transmission d’informations, une nouvelle forme de communication ne requièrant plus que la personne l’exprimant soit présente ou s’en rappelle…

Et on en vient à l’arrivée de l’écriture.

Nous avons encore une fois utilisé un outil. Pourquoi? Probablement pour une raison de taille.

Les premiers support connus peu après les vastes murs des grottes étaient des petites bouts en argile de quelques cm, des jetons servant à mémoriser le nombre de bêtes d’un troupeau.
Pas question de les dessiner un à un. Il a fallu transformer cela en simple information de quantité. Un trait = une bête.

Si cela vous parait naturel, rappelez-vous que cette simplification à l'extrême de la représentation de la réalité sous une forme symbolique n’était pas possible pour vous, enfant sans qu’on ne vous l’inculque.

Pour marquer ces jetons d’argile, nos ongles n’étaient donc pas assez précis, donc un bout de bois, un bambou taillé en pointe était bien plus efficace.

De cette utilisation née l’invention et l’utilisation de l’alphabet ou toute autre forme de codification du langage axé sur une poignée d’éléments de base, qui, combinés expriment un sujet, une idée ou une action.

Et comme l’humain est aussi défini par sa flemme naturelle, nous arrivons à l’automatisation de cette écriture : l’imprimerie.

S’il est plus rapide de tamponner que d’écrire manuellement, c’est naturellement qu’arrivent les machines à écrire (une espèce de machine à tamponner), puis, lors de l’avènement de l’informatique, l’utilisation d‘un clavier pour entrer des informations.
L’alphabet est ainsi encodé en bits et il est plus facile de s’assurer que l’ordinateur comprendra l’information depuis une touche qu’une séquence de vecteurs que seraient l’écriture manuelle.

Néanmoins, une volonté reste ancrée, celle de vouloir se débarrasser de cette frappe sur un clavier, jugée, à tort ou à raison, comme une couche supplémentaire, une étape de plus dans la transmission d’information.

Pour cela, on retrouve les stylets revenir : dans les années 80, nous voyons arriver les lightpen, capable de pointer un pixel de l’écran.
Designer le centre d’un cercle et sa périphérie par exemple permettent de tracer un cercle plus intuitivement que d’entrer des coordonnées chiffrées.
Ils se perfectionnent un temps, permettant de dessiner des courbes, mais tenir à bout de bras un stylet vers l’écran n’est pas ergonomique, cette position fatigue les épaules…

Et elle n’est parfois pas aussi précise que nécessaire… et le light pen disparait du marché grand public.

On voit apparaître une autre solution: celle de déporter la couche d’entrée de l’information de l’écran. Elle se retrouve ainsi sur le bureau.
triple avantage:
1) le stylet est tenu comme un stylo sur une feuille
2) l’information de l’écran n’est jamais obstruée par la présence du stylet ou même de la main.
3) un duo surface sensible + information provenant du stylo permet d’optenir de la précision mais aussi une notion de force d’appui, comme avec une plume par exemple.

Mais encore une fois, la pointe du stylet a beau être fine, la surface sensible très précise, cela demande à l’utilisateur d’être précis lui-même.
Je vous donne un feutre pour écrire sur un grain de riz, combien d’entre vous y arriveront?

Vient la mode des PDA (assistants personnels numériques), prévus pour tenir dans la poche.

Lorsque les ingénieurs de Apple avec le newton ou Palm chez… palm ont sorti un PDA, ils ont voulu reprendre le schéma crayon/bloc-note pour s’addresser au plus grand monde et ont ressorti le stylet des tiroirs.

Pas de notion de force, le stylet étant un simple bout de plastique dont la seule spécificité est de ne pas rayer l’écran ( et c’était même pas gagné au tout début).
Deux constructeurs et deux approches différentes pour l’entrée des caractères:

le newton tente de viser haut en interpretant des mots écrits à main levée… c’est viser beaucoup trop haut pour l’époque et cela se traduit par une frustration qui est une des causes de son échec.

L’autre, palm, a une approche “de biais”: un alphabet codifié et une écriture lettre par lettre.

Deux zones en bas de l’écran, une pour les lettres, l’autre pour les chiffres et des gestures correspondant aux lettres avec un point de départ et d’arrivée précis et des lettres simplifiées: le A par exemple n’est composé que d’un trait unique composé de deux mouvements, comme la pointe d’une flèche. pas de trait horizontal. Cela s’apprend vite, la machine peut l’interpreter facilement et c’est un succès commercial.

Mais c’est lent. très lent. A mille lieux de la vitesse d’un clavier.

Sur les Pocket PC, avec windows CE, ils ont une autre approche, très : celle d’un clavier virtuel dessiné sur l’écran et qui permet une frappe plus rapide si l’on est précis mais augmente les fautes de frappe.

Sur Blackberry, pour passer d’un téléphone à un assistant, l’écran change, passe en couleur, l’OS évolue, mais on garde un clavier physique complet. Cela ajoute du volume ou réduit la taille de l’écran mais s’avère très efficace et sera adoré par les professionnels.

Mais tout cela a ses avantages et inconvénient et aucun ne sort vraiment du lot comme avancée technologique majeure.

Au final, Steve Jobs n’avait pas tort dans sa présentation de 2007 : un clavier physique a ses problèmes d’encombrement, un clavier tactile avec stylet c’est souvent imprécis et frustrant, un alphabet de mouvements avec un stylet c’est lent…
Sans compter qu’un stylet demande l’usage d’une main pour le téléphone et l’autre pour le stylet.
Personne ne veut un stylet, oui mais personne ne veut un clavier physique non plus.

A l’époque, comme maintenant, tenir le téléphone d'une main est la norme et toutes ces solutions requièrent 2 mains.

Lorsque nous intéragissons avec nos mobiles, très souvent nous marchons et avons besoin de maintenir notre équilibre, ouvrir des portes etc... avec l’autre main.

Comment ont-il résolu cette problématique? un clavier tactile au pouce.

C’est à dire en prenant en compte que ces doigts sont gros et appuieront au mauvais endroit parfois et donc en ajoutant une couche de prévision de la touche suivante: une consonne est suivie d’une voyelle, donc si on appuie sur deux touches en même temps, seule la lettre la plus probable sera prise en compte.
Je simplifie un peu le principe, mais c’est le fonctionnement de base.

Et c’est ça la véritable avancée majeure, c’est ça qui a remis le stylet dans les tiroirs.

Maintenant vous comprenez comment et pourquoi Steve Jobs avait raison, sur un smartphone, personne ne veut un stylet.

Mais la problématique principale de l’iPhone était l’entrée des caractères. Car nous étions sur un PDA, gérant SMS, contacts et évènement.

Lorsque l’iPad est sorti, nous n’avons vu qu’un “gros ipod touch”.
Et pourtant... cela a révolutionné le monde tout autant que l’iPhone 3 ans plus tôt.

Quand on se rappelle de l’impact dû au passage de murs immenses à petits des jetons en argile, nous savons que la taille de la surface a un impact énorme sur l’utilisation.

Je sens déjà les petits malins vont me dire que justement: On a besoin d’un stylet SPECIFIQUEMENT pour les petites surfaces.
Ben non.
Ce n’est pas aussi simple, il s’agit ici d’utiliser le meilleur outil pour l’usage. Les règles ne sont pas aussi absolues.

Souvenez-vous, l’iPad n’avait pas été annoncé seul : un des premiers accessoires de l’iPad, annoncé à sa sortie… c’était un clavier !
Cela peut paraitre normal, cela n’est pas apparu comme admettre un échec ou renier le concept d’un clavier prédictif.
Rien ne replace un clavier physique grand format pour taper rapidement. Mais un clavier tel que celui-ci est dédié à un usage sédentaire à deux mains, PAS en marchant.

D’ailleurs, si l’iPhone se doit de pouvoir être utilisé d’une main, personne ne s’est plaint de ne pouvoir le faire avec l’iPad.

Et enfin deux exemples directement lié au sujet :
1 ) Il ne nous viendrait jamais à l’idée d’annoter efficacement un pdf sur un iPhone… (entourer, flécher…). Alors que sur un iPad…

2) Dessiner sur un iPhone… ou une apple Watch, on est tous d’accord pour dire que c’est ridicule…ou volontairement imprecis et brouillon... alors que sur un iPad, beaucoup ont créé des oeuvre d’art…

D’ailleurs, nombreux sont les stylets capacitifs depuis la sortie de l’iPad. (n’essayez pas, c’est assez catastrophique sur un OS prévu pour le doigt).

La taille nous ramène à l’interaction stylo/feuille à laquelle nous étions habitués pour les prises de notes rapides ou le dessin, les croquis.
Et pour cela, rien n‘est jamais arrivé à remplacer un stylo et une feuille.

Combien d’entre vous ont un ordinateur mais lors des réunions utilisent une feuille de brouillon et un crayon pour dessiner une maquette sur un coin de table?

En agrandissant encore l’écran avec cet iPad pro, il avaient donc l’obligation de sortir ce stylet afin de proposer un véritable nouveau produit, bien plus complet que l’iPad.

J’aurais pu résumer ma chronique en une phrase :
Steve Jobs avait raison sur l’iPhone, personne ne veut de stylet sur l’iPhone, mais il n’a rien dit des tablettes, les tablettes c’est pas pareil. Mais cela aurait un peu manqué d’arguments^^

La vrai question est en fait: sortira-t-il un jour sur l’iPad non pro? Existera-t-il un jour un iPad pro mini?