Que nous disent les chansons de la rupture amoureuse ?
Après la pause estivale, « l’instant philo » reprend en musique ! En avril dernier, en effet, nous avons abordé le thème de « Rupture et continuité » sans parler de la rupture amoureuse. Il semble pourtant intéressant, à bien des égards, d’y consacrer une émission. Pour explorer, on l’espère de façon plaisante, diverses facettes de ce moment toujours déstabilisant de la vie affective, nous avons choisi de prendre appui sur la chanson populaire qui constitue, en cette affaire, un bon fil conducteur.
Une rupture a un versant sombre et elle peut être une véritable catastrophe. Parfois tout à l’inverse, elle nous fait même entrer dans un scénario de comédie et de marivaudage où les larmes et les rires se mêlent pour aboutir à une fin heureuse. Loin d’être un traumatisme définitif, la rupture amoureuse peut constituer ainsi une vraie délivrance – ou du moins, une scansion, une respiration ou un rebond salutaire au sein des relations affectives. Elle peut fournir l’occasion de se réinventer, comme le montre la philosophe Claire Marin dans un essai qui date de 2019 : Rupture(s) : comment elles nous transforment. En somme, la rupture amoureuse, à l’instar du mariage, est pour le meilleur comme pour le pire.
https://www.youtube.com/watch?v=sIGK6G6IerI
L’aspect dramatique et douloureux de la séparation amoureuse prévaut le plus souvent dans la chanson populaire. Alex Beaupain, que nous venons d’entendre, ne l’ignore pas quand il reprend magistralement « Comme un ouragan » de Stéphanie de Monaco.
« Nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons, jamais plus irrémédiablement malheureux que si nous avons perdu la personne aimée et son amour » souligne Sigmund Freud[i].
Un air célèbre du film « Les parapluies de Cherbourg » exprime tout ce qu’il y a de déchirant quand les événements conduisent des amants se résigner à une suspension même temporaire de leur relation.
https://www.youtube.com/watch?v=KhQ2Mb_Xa7Y « Je ne pourrai vivre sans toi » : chanté par Catherine Deneuve, composé par Michel Legrand.
Parfois, les lamentations deviennent supplications de celui qui est quitté quand le couple se brise.
https://www.youtube.com/watch?v=i2wmKcBm4IkJacques Brel : « Ne me quitte pas »
La déception amoureuse peut prendre également une forme plus autodestructrice et plus virulente où la blessure se cache derrière une indifférence hostile comme en témoigne cette chanson de la Mano Negra
https://www.youtube.com/watch?v=eSxoxqDB0OI« Pas assez de toi » [ii]
Une rupture peut dégénérer en un moment d’horreur, comme malheureusement nous le rappellent harcèlements, violences conjugales, crimes passionnels et féminicides.
A mille lieux de cela, Françoise Hardy toute en retenue et en pudeur, demande des explications. Il est utile et réconfortant pour accepter la fin d’une histoire, de mettre des mots sur ce qui se passe et de soigner ainsi ressentiment et tristesse par le dialogue – ce bon antidote à la violence.
https://www.youtube.com/watch?v=uJd6ydAJK4A F. Hardy : « Comment te dire Adieu ? »
Dans les années 70, Gérard Lenorman campe le personnage d’un homme qui, loin de se laisser entraîner par le dépit d’avoir été quitté, affiche une attitude plus conciliante – plus Françoise Hardy que Mano Negra !- en s’adressant à son ex.
https://www.youtube.com/watch?v=Pn_itowbTzs Gérard Lenorman : « Voici les clés »
La culpabilisation et la façon narquoise de chantonner indiquent toutefois que l’acceptation de la séparation n’est pas sans arrière-pensée dans cette chanson où la comédie prend le pas sur la tragédie.
Plus franc du collier, Ben Mazué dans un morceau intitulé « Les jours heureux » met en lumière un élément qui brouille souvent la donne : cette peur du célibat et de la solitude affective qui conduit souvent à regretter une rupture pourtant nécessaire.
https://www.youtube.com/watch?v=SE9I71Vx1rQ&list=PLkqz3S84Tw-SrSLtMkGAgKtKvNH5L5syz&index=14 « Les jours heureux »[iii]
Céline Dion, quant à elle, revendique ce désir un peu insensé mais d’une touchante sincérité, d’être aimé encore et toujours, en dépit du désamour annoncé.
https://www.youtube.com/watch?v=3eAJNjB-uFw « Pour que tu m’aimes encore » morceau composé (et joué à la guitare dans l’extrait sélectionné) par Jean-Jacques Goldman
Tout à l’inverse, Serge Gainsbourg dans une de ses premières compositions qui date de 1958, rappelle, non sans un peu de cynisme, que la rupture peut aussi être conçue comme un lâche soulagement quand il n’y a qu’un amour sensuel qu’on aimerait sans suite. Il n’est jamais bien facile de conjuguer intérêts égoïstes et investissement dans une relation – surtout à une époque où les pratiques contraceptives n’étaient pas monnaie courante et le divorce peu facilité par la législation.
https://www.youtube.com/watch?v=TyMqgv5Djf0 Serge Gainsbourg : « Ce mortel ennui » [iv]
Une chose est de prendre l’initiative d’une rupture, autre chose de la subir. Les subjectivités sont évidemment différentes de part et d’autre. Pourtant, les frontières se brouillent parfois et il arrive que les personnes en cours de séparation se complaisent dans un échange paradoxalement complice autour de leur tristesse et états d’âme. Benjamin Biolay en a fait une chanson :
https://www.youtube.com/watch?v=Ba7TB4QXzmU « Comment est ta peine ? »
Un principe d’inertie sentimentale peut affecter les anciens amants, le plus souvent sous la forme du deuil à faire du couple qu’ils formaient. Légèreté et gravité sont alors présentes ensemble. C’est pourquoi le discours de celui qui quitte peut être traversé par un mélange de mélancolie, de dureté et de cruauté dans lequel la culpabilité n’est pas absente - comme on l’entend dans cette autre chanson de Gainsbourg :
https://www.youtube.com/watch?v=AuxFRUNv_ww « Je suis venu te dire que je m’en vais. »
Mais il y a profit surement à prendre distance avec cette lucidité de courte vue qui prétend que les séparations s’expliquent par le fatal déclin de toute passion amoureuse et l’impossibilité de faire durablement couple. Dans un duo qui apporte un utile contre-champ à la ritournelle de Gainsbourg, Camélia Jordana rompt avec ce préjugé au sujet de la rupture amoureuse
https://www.youtube.com/watch?v=X3TrtakDZ2s «Avant la haine » composé par A. Beaupain
L’insistance sur les diverses figures de la rupture ne doit pas toutefois nous faire oublier que ce sont aussi les écueils de la conjugalité qu’il faut craindre. On contemple trop souvent les effets d’une relation qui se délite sans prendre le temps d’en analyser les causes. La chanson de Georges Brassens « La non demande en mariage », met en avant le charme des relations libérées des obligations du mariage et dénonce le prosaïsme du quotidien parfois véritable « tue-l-amour ». Anne Sila en duo avec Nina Louise en a fait récemment une reprise originale.
https://www.youtube.com/watch?v=qF2ouovjakw La non demande en mariage.
A entendre cette version, on comprend que la conjugalité amoureuse est toujours à réinventer dans le dialogue, par-delà les accidents de parcours, les clichés et les ruptures. Reste que l’important, c’est d’aimer - même si, comme le remarque Ben Mazué, cela ne se passe pas toujours comme on le souhaiterait.
https://www.youtube.com/watch?v=CBMvKdhqlPk&list=PLkqz3S84Tw-SrSLtMkGAgKtKvNH5L5syz&index=10 Ben Mazué : “Le Coeur nous anime”
Vous trouverez toutes les références de cette émission sur le site de la M.C.H ainsi que dans les podcasts du site de Radio Ouest Track dans la rubrique consacrée à L’instant philo.
Pour finir, je propose d’écouter un extrait d’une reprise d’un morceau de Taxi Girl par le groupe Nouvelle Vague[v]. C’est Coralie Clément qui est au chant.
Au revoir.
Durée des chansons : 9 mn 20 environ
+ 1 mn 10
https://www.youtube.com/watch?v=noTiDbaVjOg Nouvelle vague. « Je suis déjà parti »
[i] Malaise dans la civilisation.
[ii] Dans l’album : Puta’s fever (1989)
[iii] Album datant de 2020 intitulé : Paradis
[iv] Album : Du chant à la une ! (1958)
[v] Album : Version française (2010)