Comment était conçue la puberté à l’époque moderne, que ce soit du point de vue médical ou social ?
Portrait Philippine Valois au micro de Passion Modernistes
Philippine Valois travaille sur l’histoire médicale de la puberté au siècle des Lumières (XVIIIème siècle) dans sa thèse dirigée par Didier Boisson et co-encadrée par Nahema Hanafi au sein du Laboratoire TEMOS Angers. Dans cet épisode, elle raconte ce qui l’a motivé à travailler sur ce sujet et nous explique l’histoire de ce concept si particulier, du point de vue médical et social.
Dans sa thèse, Philippine Valois veut comprendre comment les phénomènes physiologiques et biologiques de la puberté ont été compris par les médecins du XVIIIème, quels termes ils utilisent et quels imaginaires ils convoquent. Elle s’interroge aussi sur les incidences des représentations médicales, les maladies spécifiques, sur le quotidien des personnes pubères à cette époque ou encore les représentations sociales.
Une définition compliquée de la puberté
Annexe : Louis Binet (1744-1800), Les six âges de la fille. 1er âge, 1780-1782, Paris, Duchesne, taille douce, format inconnu. Bibliothèque nationale de France [en ligne].Le concept de puberté est en plein de construction à l’époque des Lumières. A noter que le concept d’adolescence tel que nous le concevons aujourd’hui ne naît qu’au XIXème siècle. Il y a une forte ambiguïté des auteurs sur les mots entre puberté, adolescence et nubilité, parfois utilisés comme synonymes ou contraires. Philippine Valois montre qu’en général pour les médecins du XVIIIème siècle, l’adolescence désigne une période de la vie et la puberté les phénomènes biologiques, même si pas toujours, avec des différences selon le sexe.
En général, la puberté est définie comme une crise à la fois positive et négative. La transformation pubertaire est sensée soigner certains maux de l’enfance comme l’épilepsie, l’échauffement créé par la puberté pouvant, toujours selon les médecins du XVIIIème siècle, guérir certaines maladies. Mais c’est aussi une crise négative avec son lot de nouvelles maladies, car la puberté « trouble l’âme et le corps« , on commence à dire que l’adolescent éprouve du mal-être. Les médecins utilisent des termes parfois poétiques, comme « orage« , « tempête » ou même « révolution« , parce que l’on passe d’un enfant asexué à un être sexué.
Le contexte des Lumières
Toute cette vision de la puberté s’inscrit dans le mouvement des Lumières, un mouvement à la fois culturel et philosophique, une période où l’éducation des enfants devient un sujet prioritaire. L’Émile de Rousseau est notamment une référence pour les médecins de l’époque, dont le chapitre 4 est consacré à l’adolescence. C’est aussi un contexte de « dégénérescence de l’espèce humaine« , formulée entre autres par Buffon en 1766 : pour lui, on pourrait expliquer toutes les variations entre les individus par une dégénération d’une espèce originelle. Une vision bien sûr profondément raciste, et les médecins ont dans ce sens un discours alarmant sur les problèmes démographiques et la faiblesses des enfants.
Et à la fin du XVIIIème siècle, les débuts du mouvement hygiéniste dénoncent le mode de vie oisif des élites socio-culturelles. Il est par exemple constaté que les jeunes filles qui vivent dans ces milieux fastes étaient réglées plus précocement ou ont des problèmes de menstruations.
Et dans le reste de l’épisode…
Dans le reste de l’épisode, on parle notamment des différences entre les hommes et les femmes, de la vision de la masturbation, des maladies propres à la puberté, du contrôle des corps adolescents par les médecins et la société, et de comment Philippine Valois travaille sur ses sources pour sa thèse.
Nicolas Lancret, L’Adolescence, 1707-1708, Paris, N. De Larmessin, estampe. Bibliothèque Nationale de France. [en ligne].
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- Michel Bernos, Yvonne Knibiehler, Elisabeth Ravoux-Rallo et Eliane Richard, De la pucelle à la minette : les jeunes filles, de l’âge classique à nos jours, Paris, Temps actuels, 1983
- Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Emmanuelle Berthiaud, Le rose et le bleu, Paris, Belin, 2016
- Patrice Huerre, Martine Pagan-Reymond et Jean-Michel Reymond, L’adolescence n’existe pas, Paris, O. Jacob, 1997
- Thomas Laqueur, Le sexe en solitaire, Paris, Gallimard, 2005
- Agnès Thiercé, Histoire de l’adolescence, Paris, Belin, 1999.
- Juan Jiménez-Salcedo, « L’hygiénisme au XVIIIe siècle et l’éducation des jeunes filles », in Bernard Bodinier, Martine Gest, Paul Pasteur et Marie-Françoise Lemmonier-Delpy (dir.), Genre & Éducation : Former, se former, être formée au féminin, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. « Éducation », 2018, pp. 141-152.
- Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2010, no 31, pp. 207-238.
- Gabrielle HOUBRE, Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, edi8, 2010, 189 p.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- « Chantez dans ce riant bocage », extrait de « Les Génies ou les Caractères de l’Amour » par la compositrice Mademoiselle Duval
- L’échange des princesses, film de 2017
- Ouverture de « Fleur d’épine » composée par Marie-Emmanuelle Bayon
- Rockollection – Laurent Voulzy
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 19 – Laura et les malades dans la peinture néerlandaise
- Épisode 15 – Isabelle et les médecins à Paris au XVIIIème siècle
- Épisode 12 – Paul-Arthur et les épidémies au XVIIIème siècle
- Épisode 3 – Johana et les sages-femmes en Alsace
Ce très beau générique a été réalisé par Julien Baldacchino (des podcasts Stockholm Sardou, Radio Michel, Bulle d’art…) et par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir).