Nouvelle critique aujourd'hui, où on va s'essayer à du particulier, voir même à du bizarre. En la présence d'un kit d'initiation proposant de découvrir un jeu de rôle de science fiction très conceptuel. Car il ne propose pas vraiment d'explorer l'un des  poncifs de la sf type space opera, cyberpunk ou même un futur utopique comme tente de le faire quelques courageux. Non, il propose de s'orienter principalement sur le questionnement métaphysique lié à une dystopie bien particulière. Dans quel contexte est-ce que je démarre cette critique ? Eh bien, dés qu'on s'éloigne des livres de philo imbuvables semi masturbatoire, le questionnement métaphysique est quelque chose que je trouve extrêmement bandant. Et quand on rajoute de la fiction futuriste par dessus, j'en viendrais presque à mouiller ma culotte. Le jeu part donc avec un à priori plus que positif de ma part. La question, maintenant, va être de savoir si les quelques tests que j'ai pu accumuler dessus me rendront la monnaie de ma pièce.

Sens, le kit d'initiation, qu'est-ce que c'est ? "Sens, le kit d'initiation" est un jeu au format pdf de 45 pages, ni plus ni moins. Il semble être le prélude de ce qui s'envisage comme une série de six livres qui apporteront leur lot de contenu spécifique. Le kit d'initiation étant là vraisemblablement pour nous donner aperçu de ce qui y sera proposé. Il s'attardera donc sur une présentation de contexte, sur les techniques permettant de concevoir les personnages que l'on va incarner, sur le genre d'actions qu'ils pourront y produire et une première amorce d'histoire. De loin, de ce qu'on peut entendre, sens est un jeu soit perçu comme un exercice de style plutôt prétentieux et chiant, soit une merveille digne d'entrer au panthéon. On va essayer d'être un peu plus constructif... 
Le texte en quelques mots L'amorce rappelle un peu le feu Warhammer 2éme édition avec sa nouvelle superbement léchée au rythme haletant qui fut jadis glissée en introduction du bouquin. Ici, en guise de nouvelle, on nous offre une description particulièrement précise de la situation qui précède le début du jeu. J’avoue qu'en roman comme en jdr, je n'ai jamais été très amateur des longues introductions qui ne se situent pas dans l'action et se concentre sur des aspects encyclopédiques qui très rapidement me donnent envie de me crever les yeux avant que l'agonie ne se fasse sentir (oui JRR Tolkien ceci est une déclaration d'amour). Et pourtant...  Et pourtant, je dois avouer qu'à la lecture, j'ai vraiment eu le sentiment d'être face a l'un des meilleurs pitch de sf que j'ai pu lire. En prenant un setting futuriste un peu sans âge, le jeu donne une allure presque mythologique aux personnages et au contexte. L'humanité faisant face à un savoir d'une telle ampleur qu'elle se retrouve rapidement en lutte contre elle même. Si tous les futurs possibles peuvent être calculés, estimés, prémédités, quel est le sens de nos actions ? Voila en quelques mots le postulat du jeu tel qu'il nous est présenté dans cette introduction. Pour illustrer ces questions métaphysique un peu abstraite, un contexte se met rapidement en place où le setting évolue un peu et où on nous dépeint un état autoritaire qui s'approprie ces connaissances et tente de créer un monde idéal selon leurs propres perceptions.  Les personnages que le jeu propose d'incarner faisant donc figure d'élu(e)s qui vont s'opposer à cette dictature dont la puissance se fait de plus en plus grandissante. Bon vous allez me dire le coup de l'élu(e) qui sauve le monde de la méchante dictature qui veut faire le bien des gens malgré eux, niveau originalité on repassera. La petite nuance ici c'est que les héros ne sont pas des héros au sens classique du terme, mais plutôt des grains de sables qui font grincer une machinerie bien huilée.
Sous des dehors de sauveurs de l'humanité, les personnages que l'on va incarner semblent assaillis de réflexions intérieures sur leurs propres conditions. Une esthétique à la dark city qui ne serait pas pour déplaire.

Des héros qui se démarquent aussi par leurs insignifiances, face à l'opposition titanesque auxquels ils devront faire face. Des héroïnes qui pourront aussi être assaillies par des doutes sur la justesse de leur cause et sur le poids que l'on fait poser sur leurs frêles épaules. Des héros qui seront sans cesse mis à l'épreuve et qui seront amenés à se poser des questions existentielles sur le sens de leurs actions et sur leurs conséquences. Une proposition qui change, plus tournée vers l'intellect et qui semble donner un éclairage assez différent au traitement de l’héroïne badass qui va sauver le monde. Il nous le propose en positionnant un mj faisant office de narrateur, de metteur en scène, d'incarnation de l'antagonisme, d'arbitre des règles et j'en passe. Le jeu étant un jeu à secret, le rôle du mj reste éminemment flou pour les autres joueurs. Et le dit mj étant vraisemblablement là pour orienter le jeu dans certaines directions,il peut sembler légitime que son véritable rôle reste obscur. Paradoxalement, cela s'accompagne d'indications pour une création de personnage dont la liberté semble assez folle, à tel point d'ailleurs qu'à peu prés tout et n'importe quoi (ou à peu prés) semble pouvoir être envisagé. Originalité marquante, on nous présente également des personnages qui feront office d'axes autour desquels graviteront nos protagonistes, que ce soit pour représenter une adversité ou au contraire symboliser l'aide. Ce parti pris, qui pousse à créer des personnages qui sont satellitaires de certains éléments préecrits donne un aspect très singulier à la proposition du jeu. Proposition qui s'éclaircit un peu à travers ce qui fait office de fil conducteur à l'histoire : les épreuves.

Akina
Cette première épreuve qui nous est offerte s'appelle akina et met justement en scène l'un de ces acteurs autour desquels les personnages gravitent.Elle pose une situation forte d'entrée de jeu et propose aux personnages de réagir et d'assumer leur rôle de sauveur. Les outils pour jouer se résumant principalement à une série de scènes d'explorations ou de confrontations prêt à jouer permettant d'aboutir à une révélation finale. L'état d'esprit des principaux personnages concernés par l'intrigue est également évoqué et peut être utilisé pour rebondir sur les narrations des participants. Quelques références musicales pouvant servir d'inspiration viennent compléter l'ouvrage. Ah... Mais que voila venu le moment délicat de parler des règles.  
Le système de jeu Le système de sens est un peu au système de jeu ce que la cuisine moléculaire est à la gastronomie. Un cas à part, pourvu d'une certaine audace, parsemés de goûts étranges, savoureux ou répugnants difficile à dire mais résolument radical dans son approche. D'où une sensation extrêmement déstabilisante  à la lecture qui peut laisser un peu penaud.
Les faits

Étant moi même très amateur des systèmes de traits qui laissent une libre part à nos envies de jeu, les faits m'ont assez rapidement mis la puce à l'oreille. Chaque personnage commencera avec un certain nombre de faits identiques,signe de leurs passés commun, libre à eux de créer le reste. Et de ce point de vue là, ils auront les coudées franches; la seule restriction étant que les phrases décrites respecte la logique interne de l'univers qui nous est dépeint. Ce qui laisse une marge assez conséquente pour ne pas dire énorme. Ces faits à lister sont séparés entre deux catégories : les faits du personnage et les faits du joueur/de la joueuse. Si les faits du personnage pourront permettre de faire pencher la balance lors de potentiels conflits, les faits de celui ou celle qui les incarne permettront de reprendre le pas sur la narration en imposant des éléments de récits favorable au succès de l'action entreprise. Mais comment diable ? Grâce à un élément mécanique déterminant du jeu : l'immersion.


Quelque part, le jeu rappelle un peu un patchwork de ciel gris. Des mécaniques jusqu'aux personnages, tout est trouble et changeant . C'est comme si l'auteur prenait à plaisir à nous déstabiliser à chaque nouvel élément abordé.  L'immersion
Les parties de sens semblent rythmés par cet élément incontournable qui joue beaucoup entre la notion de personnage et de la personne qui l'incarne. L'expérience de jeu se définissant comme assez intense, on nous explique que nos comportements à la table de jeu seront appréciés et donc jugés selon des critères plutôt arbitraires. L'implication forte dans le jeu du personnage, les réflexions sur ce qui se passe en jeu, les interactions personnages/fictions seront récompensés par des points d'immersions positive. A l'inverse, les vannes sur le caleçon girafe de ton camarade de jeu, les commentaires sarcastiques sur des incohérences de l'histoire, ton portable qui sonne ou ton envie subite de faire référence à ta série du moment amèneront avec elles leur lot d'immersion négative. L'immersion, outre sa capacité à imposer périodiquement ses propres narrations, permettra d’améliorer sensiblement les capacités des personnages.

Les runes
Les runes font figure de caractéristiques et expriment ce que le personnage est à même de faire. Nous sommes dans un système sans aléatoire ni contrainte, ce qui implique que la résultante des actions est relativement prévisible. Un élan dramaturgique que l'on voit peu : nos personnages sont portés par une destinée, un souffle, ce qui participe à créer une ironie dramatique assez forte. Les runes sont organisées en pôles, telle que la rune de vie et de mort qui implique qu'une force d'un coté du pôle établira une faiblesse de l'autre coté. Elle donne le ton du personnage et le positionne aussi bien sur des éléments de caractères que des aptitudes physiques.
Impression de jeu Sens se présente comme un jeu exigent, le kit l'annonce d'entrée. De bout en bout, on se retrouve confronté à l'étrange. L'univers, les mécaniques, la proposition de jeu, les personnages se mélangent et s'incorporent sans qu'on comprenne pourquoi ni comment. C'est à se demander si le jeu n'a pas été conçu par un adolescent génial sous amphétamine ou un ancien accro au jdr souffrant de troubles autistique. Ce jeu ne pense pas comme nous clairement, il doit avoir accès à une autre réalité ou quelque chose du genre. On nous fait incarner l’héroïsme en nous empêchant de nous y accomplir, on nous propose de lutter contre un déterminisme absurde tout en nous donnant des outils qui le favorisent, on nous fait rêver à des mystères cryptiques sans nous offrir des éléments à même de rendre ces mystères probants. Que nous offre vraiment ce kit ? Peut_on raisonnablement penser qu'il nous propose un bon jeu ? Qu'il nous propose un jeu intéressant ? Qu'il nous propose une expérience enthousiasmante ?  A vrai dire en jeu l'expérience est très mitigée, certains éléments nous portent tel que le pitch ou les mécanismes d’immersions, quand la confrontation aux personnages importants du jeu ou la mise en place d'un déroulé narratif sont parfois extrêmement laborieuse. Et pourtant à la lecture il se passe quelque chose qui vous happe, qui vous retient et qui vous donne le sentiment d'avoir entre les mains un truc particulier et que vous ne pouvez pas décemment passez votre chemin sans vous y attarder davantage. 
Est-ce que sens au final ne souffre pas du défaut de tous ces kits d'initiations qui essayent de faire rentrer des jeux dans des formats qui ne leurs conviennent pas ? A survoler tant de choses sans s'attarder sur rien. A amorcer autant d'idées sans en pousser aucune jusqu'au bout. A proposer des choses que l'on appelle jeux quand ils ne sont guère plus que des prospectus de luxe. On sent qu'il y a quelque chose dans cette mise en bouche, que le jeu est audacieux, que le jeu est particulier et expérimente surement quelque chose de peu abordé. Mais à vouloir prendre une bagnole de course sans avoir vérifié les freins, le pilote a intérêt à miser sur beaucoup de chance et de maîtrise.

A l'usage, sens fait un peu penser à un gros paquebot qui essaye de se repérer sans instruments de guidages. On essais de tenir bon au maximum en espérant atteindre les côtes à temps. A ce stade, on pourrait dire que sens est une expérience exaltante et attractive autant qu'elle peut être frustrante. Si le kit fait bien ce pour quoi il est pensé, en nous vendant un incipit qui fait envie, il échoue dans son travail de pédagogue en ne nous donnant qu'une vision très lointaine de ce vers quoi il nous propulse. Après usage, ma plus grande crainte est que ce jeu ne se lance dans trop de promesses pour pouvoir les tenir sur un trajet aussi long. Combien de jeux nous promettent ainsi monts et merveilles avant même de chercher à comprendre ce que nous sommes venus y chercher ? Trop de jeux signent des chèques en blanc en espérant parfois pouvoir se rattraper après coup. Tout ce que je souhaite c'est que sens n'en fasse pas partie et que l'on puisse retrouver ne serait ce qu'un dixième de l'audace qu'on y suppose. Pour ma part, même avec un jeu bancal je m'en contenterais. 
Liens utiles Site web : http://senshexalogie.fr/

Retour sur le jeu par les chroniqueurs de radio roliste : http://www.radio-roliste.net/?p=563