Pour changer de l’Europe des livres et de l’Europe des lois, Julia Gaubert et Mathieu Sabourin se sont lancés dans une grande aventure : une diagonale de l’Europe à pied de Tallinn (Estonie) à Lisbonne (Portugal) – 7000 kilomètres pour découvrir l’Europe des territoires et l’Europe des gens.
Dans cette interview, Julia et Mathieu nous racontent leur aventure passionnante : pourquoi ils sont partis, comment ils se sont préparés, comment ils gèrent la logistique, ce qui les a marqués (en bien et en mal), et bien d’autres choses que je vous laisse découvrir.
C’est une interview qui devrait particulièrement vous intéresser si vous souhaitez vous lancer dans une randonnée au long cours. Je pense notamment aux nombreuses personnes en préparation des chemins de Saint Jacques de Compostelle qui lisent le blog.
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Transcription texte
François Jourjon : Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle interview du blog Randonner Malin. Je suis actuellement avec Julia et Mathieu qui sont en train de vivre une aventure un peu particulière, qui s’appelle « l’Europe des petits pas ». Bonjour Julia, bonjour Mathieu.
Mathieu Sabourin : Bonjour.
Julia Gaubert : Bonjour François.
François Jourjon : Alors, est-ce que pour commencer vous pouvez peut-être vous présenter et présenter un peu votre projet.
Julia Gaubert : Alors, moi j’étais avant juriste en droit de la santé et on a tous les deux démissionné pour vivre cette aventure.
Mathieu Sabourin : Moi, je travaillais dans le conseil aux territoires et sur les politiques européennes. Et du coup, on a quitté nos boulots et nos vies pour se lancer dans une grande traversée de l’Europe, uniquement en marchant, de Tallinn à Lisbonne – ce qui fait à peu près 7000 km.
Julia Gaubert : Avec pour objectif de rejoindre les deux capitales les plus extrêmes de l’Union européenne.
François Jourjon : D’accord, donc ce n’est pas uniquement un projet personnel de marche, il y a aussi quelque chose derrière, j’imagine en plus, avec le titre de votre projet : « L’Europe des petit pas ». Il y a quelque chose derrière, ce n’est pas ça ?
Julia Gaubert : Je crois qu’on voulait un projet aussi qui ait un écho avec notre parcours professionnel. Moi je suis juriste en droit de la santé, mais spécialisée dans les questions européennes. Et Mathieu, est consultant en politique publique et spécialisé dans les questions européennes aussi.
Donc, je pense qu’on en avait marre de l’Europe des livres, de l’Europe des lois et on avait envie de connaître l’Europe telle qu’elle est vraiment : l’Europe des gens, l’Europe des territoires. Donc ça fait écho à notre parcours aussi, professionnel avant.
François Jourjon : D’accord. Et donc actuellement, vous en êtes où ? Vous m’avez dit qu’il y avait 7000 km à parcourir, vous avez marché combien de kilomètres, vous êtes actuellement où ?
Julia Gaubert : Alors là, on a marché je dirais 4600 km, on a traversé 10 pays et ça fait 9 mois que nous marchons.
François Jourjon : D’accord. Et il reste à peu près ?
Julia Gaubert : Il reste un tiers, un peu moins d’un tiers, il reste 2500 km pour atteindre Lisbonne en fin mai, mi-juin plutôt. Mi-juin 2014.
François Jourjon : D’accord. Vous vous étiez fixé un planning ou vous vous êtes dit : « on verra quand on arrive » ou vous aviez à peu près estimé une date d’arrivée ? Enfin, vous aviez une envie d’arriver à un certain moment ou pas du tout ?
Mathieu Sabourin : Oui, en fait on s’était donné un an. Alors, après pour estimer le temps, la distance, c’est un petit peu compliqué parce qu’en fait on ne suivait pas un grand GR (ndlr : chemin de grande randonnée) ou un itinéraire pré-balisé, on définissait notre route au jour le jour. Ce qui fait qu’en fait, on n’avait pas même véritablement d’idée de quelle était la distance à pied entre Tallinn et Lisbonne.
Donc on a essayé d’estimer au mieux. Au final, il se trouve qu’on s’est plutôt pas mal débrouillés pour l’instant, on a plutôt respecté les temps jusqu’à maintenant – où Julia a un problème de santé qui nous oblige à nous arrêter.
François Jourjon : D’accord. Peut-être qu’on reviendra sur le problème de santé un petit peu plus tard. Juste pour revenir sur l’itinéraire, vous avez dit que vous faisiez ça au jour le jour. Vous n’aviez pas du tout défini d’itinéraire. C’était de Tallinn à Lisbonne, rien de plus ? Ou il y avait quand même des grandes lignes ?
Julia Gaubert : Alors si, on avait quand même dessiné une diagonale. Une diagonale un peu courbée quand même, pour éviter de traverser toutes les Alpes dans le sens de la longueur.
François Jourjon : D’accord.
Julia Gaubert : On avait défini les capitales et les pays par lesquels on voulait passer, mais voilà, c’est tout !
Mathieu Sabourin : On avait les grands jalons et chaque semaine on organise notre parcours, on définit nos étapes, on essaye de passer par les petits sentiers, on évite les routes. Pour ça, on s’appuie, on a une tablette avec nous, on utilise des petits logiciels de carto (ndlr : cartographie) embarquée. Et on trace notre itinéraire par les chemins, les sentiers forestiers. Et donc voilà, ça fonctionne plutôt pas mal.
François Jourjon : Donc vous faites un peu de logistique au jour le jour, pour ça. Et comment vous gérez tout le reste, tout ce qui est matériel, eau, vivres, pour dormir, tout ça ?
Julia Gaubert : Alors, c’est pour ça que ce n’est pas une petite logistique, mais une grosse (rires).
François Jourjon : (rires).
Julia Gaubert : Parce que ça demande à peu près 2h de travail par soir, que ce soit la définition de l’itinéraire pour le lendemain – enfin le préciser. Les hébergements, c’était facile jusqu’à fin novembre parce que nous privilégions la tente. C’était plus difficile en hiver, donc on a beaucoup eu recours au site internet de couchsurfing qui nous a pas mal aidés.
Et puis voilà, quand on n’en avait pas, ça nous arrivait de sonner des fois chez des prêtres pour qu’ils nous ouvrent la salle de catéchisme pour qu’on passe la nuit, puisqu’on a nos petits matelas gonflables. On est quand même assez autonomes. Donc c’est quand même une logistique et d’autant plus que le blog et le documentaire nous prennent du temps après la marche elle-même.
François Jourjon : D’accord, donc ça fait pas mal de choses à voir tous les soirs après la marche ! Du coup, ça c’est la préparation pendant. Mais j’imagine qu’avant il y a eu une grande préparation ? Comment en gros ça s’est déroulé ? Comment vous avez fait ça ? Est-ce que vous aviez déjà l’habitude de ce genre d’expérience ou pas du tout ?
Mathieu Sabourin : Alors, il y a eu 2 volets. Il y a eu la préparation du projet un peu sur le plan institutionnel, trouver des partenaires, on est soutenus par la commission européenne, on a un partenariat avec une école : la Maison de l’Europe.
Ensuite, il y a un volet de préparation plus technique. Notamment, la grosse question c’est toujours le choix du matériel. Donc on s’est beaucoup renseignés, on a fouillé un peu sur internet, on s’est basés sur notre expérience, on s’est appuyés sur des ressources comme Randonner Malin, justement aussi, pour avoir des retours d’expérience et faire notre liste de matériel. On est plutôt contents parce qu’on ne s’est pas trop trop trompés sur notre liste de matériel. La difficulté étant effectivement d’arriver à marcher léger, le maximum, et ne prendre que le nécessaire et éviter le superflu. Donc au final, on a des sacs à dos de 50L chacun.
François Jourjon : D’accord.
Julia Gaubert : Et pour l’entraînement, la bulle ! Zéro entraînement ! (rires)
François Jourjon : (rires).
Julia Gaubert : Moi, j’ai soutenu ma thèse 4 jours avant de prendre la route. Mais c’est ça qui est bien avec la marche, c’est que l’entraînement peut se faire dès le premier jour en y allant progressivement. Faire 15 km, 20 km et au bout de 10 jours finalement on est entraînés.
François Jourjon : Oui, de toute façon vu que là ça s’étale sur très longtemps, si tu marches 5 ou 10 km de moins les premiers jours, ce n’est pas très grave on va dire…
Julia Gaubert : Oui.
Mathieu Sabourin : Exactement.
François Jourjon : L’objectif est tellement grand, il vaut mieux partir doucement j’imagine. Et du coup, à peu près la préparation vous a pris combien de temps avant de partir pour cette année de marche ?
Mathieu Sabourin : Le volet institutionnel, on a commencé 6-7 mois en avance. Pour le matériel, c’était 3-4 mois, le temps de récupérer le matériel, de faire les tests aussi des différents matos. Ça prend un peu de temps, sachant qu’il faut bien peser les choix.
Julia Gaubert : Et de défaire les liens administratifs, que ce soit travail, maison, toutes ces choses-là, ça prend aussi du temps.
François Jourjon : Oui, j’imagine.
Mathieu Sabourin : Le plus dur c’est de partir (rires).
François Jourjon : (rires) Oui c’est sûr. Une fois que tu es parti, c’est bon ! Enfin, c’est bon… Il y a déjà une grande partie qui est faite. Et du coup, est-ce qu’il y a des gens qui vous aident au fur et à mesure pour ce qui est logistique ? Par exemple, j’imagine que 7000 km, vous allez avoir plusieurs paires de chaussures nécessaires ? Comment vous faites ? Vous vous arrêtez sur le chemin, vous avez prévu un peu des endroits où vous pouvez vous ravitailler en matériel, il y a des gens qui vous envoient du matériel ?
Julia Gaubert : Alors, 2 choses. Concernant les chaussures, on a simplement changé une fois après 3500 km, c’était en Italie, avant de passer les Alpes pour arriver en France. Je pense qu’on avait des bonnes chaussures. Et l’autre question, c’était quoi déjà ?
François Jourjon : Est-ce qu’il y a des gens qui vous aident ?
Mathieu Sabourin : Oui, il y a des gens qui nous en amènent, car il y a des petites variations dans le matériel. Après, on est en multicouches (ndlr : plus d’informations sur les systèmes multicouches ici), on fait l’oignon, donc du coup on ajoute, on ne change pas grand-chose. Pour l’hiver, on a simplement rajouté une couche, des doudounes en plume. Voilà !
Julia Gaubert : Et là, il y a régulièrement des personnes qui viennent marcher avec nous que ce soient des amis ou de la famille, voilà. Et donc, on profite de ce voyage pour qu’ils nous amènent le matériel nécessaire.
François Jourjon : D’accord, c’est bien, ça doit vous faire un petit support, tout ce qui est un contact avec les gens… J’imagine que si vous dormez chez les gens, vous en avez, mais des fois ça doit être peut-être peu dur. Si vous êtes tous les deux à des moments, peut-être que vous êtes contents de voir quelqu’un d’autre ?
Mathieu Sabourin : En fait, des contacts on en a plutôt trop que pas assez. Parce que l’idée de notre voyage, c’est d’aller à la rencontre au maximum. Et en fait, il se trouve que l’on ne s’interdit pas de dormir à l’hôtel, même si après il y a forcément une question de budget pour nous.
Au final, on dort peut-être deux ou trois nuits par mois dans un hébergement. Le reste du temps, on est dans des familles, ou on campe près de chez des gens. Donc en fait au final, parfois on aimerait bien un peu plus de solitude (rires).
François Jourjon : D’accord, d’accord. Et du coup, pour revenir sur ta blessure Julia, j’avais prévu de vous poser comme question si vous aviez eu des moments qui étaient un petit peu difficiles. Alors j’imagine que la blessure, c’est un moment difficile… Est-ce qu’il y en a eu d’autres ? Ou, est-ce que c’est simplement… Enfin non, on ne va pas dire simplement… Mais est-ce que c’est juste la blessure ?
Julia Gaubert : En fait, c‘est vrai que jusque-là, l’aventure s’est vraiment déroulée presque tellement bien qu’on nous disait toujours « ben c’est trop facile en fait de traverser l’Europe à pied ! » (rires) et on disait « ben oui, c’est vrai que c’est facile de traverser l’Europe à pied ! ».
Et en fait, le coup dur, c’est vraiment maintenant. C’est de savoir que ce n’est pas nous qui décidons de s’arrêter, c’est mon corps qui me l’impose. Et je n’ai pas du tout envie d’arrêter de marcher là. Et j’espère vraiment que dans quinze jours je vais pouvoir continuer parce que là c’est ça qui est difficile.
Mathieu Sabourin : Après on n’a pas non plus eu que des moments faciles. Récemment, on a marché dans les tempêtes de neige. On a fait le passage des Alpes en raquettes. On a eu quelques journées de galère. On a eu des périodes, l’été en Pologne, où on a quand même beaucoup souffert de la chaleur parce que c’était vraiment la canicule, plus de 40°C – c’était des conditions très difficiles.
Et puis après, traverser une chaîne de montagnes en continu, avec l’usure physique, il y a quand même des moments qui sont physiquement difficiles, mais jusqu’à présent on avait toujours plutôt bien passé les choses. C’est vrai que, ce que dit Julia, ce qui est terrible c’est quand la volonté seule ne suffit plus et qu’on est bloqués malgré nous, ça c’est dur.
François Jourjon : Là, pour les auditeurs qui écoutent l’interview, Julia tu as une fracture de fatigue, c’est ça ?
Julia Gaubert : Oui, un truc pas très grave dans la vie normale, parce qu’on peut quand même continuer à faire des choses. Mais, quand on a un défi sportif comme ça à réaliser, ça peut être très très gênant. Et si je marche sur cette blessure, je peux garder ce handicap à vie, donc voilà !
François Jourjon : D’accord, et donc c’est un repos de 2 semaines avant de reprendre la route, j’imagine un peu plus tranquillement, le temps de voir les sensations, avant de reprendre complètement ou…
Julia Gaubert : Oui, je pense que comme là je marche avec des béquilles. Donc, je ne vais pas mettre le pied par terre pendant quinze jours. Donc, la reprise va être effectivement assez progressive pour éviter, parce que mes muscles se seront peut-être affaiblis en quinze jours, et pour l’os aussi.
François Jourjon : D’accord. Et là c’est pour le moment difficile. Et est-ce qu’il y a des moments positifs, très positifs, des moments qui vous ont vraiment marqués ? Peut-être une petite anecdote sympa ? J’imagine que vous en avez plein, des rencontres vraiment marquantes ?
Julia Gaubert : Alors, concernant un évènement positif, ça a été pour moi de traverser les Alpes à pied, d’être en bas de cette immense montagne et de se dire « bon ben voilà, ça y est c’est le dixième pays, je rentre dans le dixième pays, mon pays, en plus la France ». Traverser ces Alpes à pied, alors qu’on n’est pas du tout alpinistes.
Mathieu Sabourin : Oui, pour les souvenirs, je pense que c’est globalement la rencontre, toutes les super rencontres qu’on a faites en Europe de l’est, où c’était compliqué de communiquer parce qu’on était dans les campagnes, personne ne parle anglais. Donc on était obligés de se débrouiller avec les mains, en dessinant et en apprenant les 2-3 mots qu’on pouvait apprendre dans chaque pays.
Et on a fait plein de rencontres fantastiques. Alors, c’est difficile d’en sortir une du tas. Mais des gens qui nous connaissaient pas, qu’on a croisés à un moment et qui 5 minutes après nous invitaient chez eux. Voilà, on en a eu plusieurs des moments comme ça et c’est vrai c’est des choses – même quand on a des petites difficultés, même quand on a des ampoules – c’est des choses qui nous portent le lendemain matin et qui nous donnent l’énergie pour surmonter tous les obstacles.
François Jourjon : D’accord, et vous n’avez pas eu envie de rester un petit peu à certains endroits quand il y a des gens qui vous ont accueillis ?
Julia Gaubert : Alors, c’était ça un peu la difficulté, parce que nous, on s’est quand même accordés le cadre de un an. Et 7000 km sur un an, il faut quand même avancer. Donc on ne s’est pas trop autorisés de s’arrêter. Maximum une journée par semaine ou deux. Donc des fois, on a quelques frustrations et on se dit qu’on reviendra dans des paysages qui nous ont plu ou chez des gens avec qui on a passé un super moment. Mais, c’est le point un peu frustrant de notre voyage.
Mathieu Sabourin : C’est ce qui fait la spécificité du voyage en marchant je pense. C’est qu’on est à la fois très lent, on a le temps, on parcourt, on ne saute pas d’un pays à l’autre, on n’a pas de décalage, mais paradoxalement, on est toujours en mouvement, c’est-à-dire qu’on ne s’arrête jamais, on est très lents en s’arrêtant jamais.
François Jourjon : D’accord, d’accord. Et là, vous dites que vous vous arrêtez un peu, vous avez un rythme à peu près de combien ? Est-ce que vous vous êtes fixés un nombre de kilomètres par jour, un nombre de dénivelé ? En gros, combien d’heures vous marchez par jour à peu près ?
Julia Gaubert : En gros, je dirais qu’on fait entre 25 et 30 km par jour. Les dénivelés, ça dépend du terrain et on s’adapte.
Mathieu Sabourin : Oui sinon, quand on est en montagne, on tourne autour des 1000 (ndlr : 1000 m de dénivelé cumulé positif).
Julia Gaubert : Et ça fait en gros 8 heures de marche par jour de moyenne.
François Jourjon : Ah oui, donc ça vous fait des bonnes journées avec une ou deux journées de repos par semaine.
Julia Gaubert : Une journée par semaine et tous les mois on s’en accorde 2.
Mathieu Sabourin : Mais on prend le rythme, en fait, au fil du temps. C’est vrai que les deux premiers mois peut-être qu’on marchait un petit peu moins, quoique. Et c’est vrai, que petit à petit on acquiert la condition. Enfin, le corps arrive beaucoup plus facilement à supporter ce type d’effort. Sauf les os de Julia (rires)…
François Jourjon : (rires). D’accord, et est-ce que vous aviez déjà fait des randonnées de plusieurs jours avant ou pas du tout, ou juste des randonnées à la journée ? Vous aviez une expérience ou pas du tout ?
Julia Gaubert : Alors moi, j’avais déjà un certain goût pour la marche et j’espère, enfin je pense, que j’ai transmis le virus à Mathieu. Quand j’étais plus jeune à 15 ans, toutes les 3 semaines, je faisais une portion du sentier de Saint Jacques de Compostelle. Ça a été les prémisses des randonnées au long cours. Et on est partis ensuite tous les deux marcher sur les chemins de Stevenson, une semaine. On est également partis sur le sentier des douaniers en Bretagne juste avant notre voyage, une semaine aussi.
Mathieu Sabourin : Moi, j’ai pas mal marché dans les Pyrénées, mais en fait aussi, globalement, c’est vrai que ce que ça montre tout ça, c’est qu’il n’y a pas besoin d’une grande préparation, il n’y a pas besoin d’avoir fait des semaines et semaines de rando pour s’engager dans ce type d’aventure. Et c’est ça que je trouve qui est fantastique avec la marche, c’est une activité qui est ouverte à plein de gens.
François Jourjon : D’accord. En gros, quelle est la différence, la difficulté en plus que vous avez vue pour une préparation d’un an, pour une aventure comme ça, par rapport à par exemple une randonnée d’une semaine ou de quelques jours ? Est-ce qu’il y a eu une grande difficulté en plus, à part tout ce qui est administratif ou pas du tout ?
Julia Gaubert : Ben, voilà, c’est ce que tu dis : à part l’aspect logistique et administratif, la préparation physique, ben voilà elle vient au jour le jour. Le sac lui-même, que tu partes un an ou que tu partes une semaine, il est le même.
François Jourjon : Oui, à part que tu es obligé de laver tes vêtements de temps en temps j’imagine. En rando sur une semaine, en général tu le fais de temps en temps, des fois tu ne le fais pas. Mais sur un an…
Mathieu Sabourin : C’est ça qui change en fait. Il n’y a pas trop d’aspect technique ni physique. Ce qui change fondamentalement, c’est quand même le rapport au voyage et le rapport aux autres. Déjà on marchait beaucoup en pays étranger, ce qu’on fait rarement quand on part sur des sentiers de rando.
On a tous beaucoup plus tendance à aller en randonnée en France. Le fait d’être à l’étranger, ça impose une autre communication avec les gens. Donc on est en plus dans le voyage, dans la découverte un peu plus de l’inconnu. Et l’autre chose, moi je trouve qui a été quand même surprenante, c’est l’apprentissage du vagabondage. C’est-à-dire que partir une semaine, dormir une semaine ou 10 jours en rando, chaque jour sous la tente, dans un endroit différent, c’est une chose… Le faire sur 6 ou 7 mois, c’est différent, parce qu’au bout d’un moment, on ne sait plus où on habite. Paradoxalement, on apprend à se sentir chez soi un peu partout. C’est un sentiment étrange.
François Jourjon : Oui, on prend des habitudes à des endroits où d’habitude on ne se sentirait pas forcément chez soi, on va dire…
Mathieu Sabourin : Exactement.
François Jourjon : D’accord, c’est intéressant au moins de voir qu’un peu n’importe qui – enfin pas n’importe qui – mais qu’on peut se lancer assez facilement d’après ce que vous dites. Il faut juste faire attention aux fractures de fatigue et aux petits désagréments.
Après, j’imagine aussi qu’il y a le côté mental, après ça dépend des gens, vous avez l’air de prendre les choses plutôt bien, même les moments difficiles, de les retourner en moment faciles. Vous avez parlé d’ampoules, vous avez parlé de tempêtes, de tout ça… Il y a des gens qui ne sont pas près à affronter tout ça.
Mais après, j’imagine que vous vous êtes peut-être rendus compte que vous oubliez au bout d’un moment. Vous passez un moment difficile, trois jours de tempête, puis après 2 jours de beau temps, et puis on rigole de la tempête. Non, vous n’avez pas vécu ça ?
Julia Gaubert : Oui voilà. On partait vraiment pour une aventure. Moi je m’étais vraiment faite à l’esprit que ça allait être dur, qu’il allait falloir lutter contre les éléments, ce nomadisme il allait falloir s’y habituer. Ça, je m’y étais préparée et au final j’aime ça, là je suis bloquée ici ! (rires)
François Jourjon : (rires).
Julia Gaubert : J’ai envie de repartir. Ça en fait, on s’y prépare psychologiquement, on peut s’y préparer.
Mathieu Sabourin : Oui, et puis je pense que la marche même l’apprend. C’est-à-dire que la marche c’est aussi un apprentissage de la patience et de la volonté. On sait bien que quand on marche on est à 4 km/h ou un peu plus, un peu moins. Ça ne sert à rien de se presser. Quand il y a une difficulté, il faut avoir la patience et toujours continuer à avancer et on se rend compte que c’est comme ça qu’on passe les moments difficiles. Et je trouve que sur le plan personnel, c’est vraiment ça que la marche au long cours apprend : la patience et la volonté.
François Jourjon : D’accord. Et je vais revenir sur un des trucs que tu as dit, je crois que c’était toi Mathieu. Tu as parlé de logiciel de cartographie. Est-ce que vous avez eu des difficultés un peu à trouver des cartes ? Alors en France, je sais que c’est assez facile, mais dans d’autres pays, notamment les pays de l’Est est-ce que vous avez eu des difficultés au niveau des cartes ou vous n’avez pas eu de problèmes pour vous orienter, pour trouver des sentiers, pour trouver des itinéraires ?
Mathieu Sabourin : Alors, c’est vrai qu’il n’y a pas de carto de type IGN. Parce qu’en plus, on ne passe pas forcément que dans des parcs nationaux où on a des super cartographies. Donc en fait, on a du fonctionner un petit peu autrement. Donc, on utilise une application de cartographie qui s’appelle Locus, qui permet de multiplier différents fonds cartographiques. Et on utilise beaucoup les fonds de cartographie Google en fait, qui sont très très bons.
François Jourjon : D’accord.
Mathieu Sabourin : Sur les visions plans et aussi sur les visions satellites, on vérifie comme ça un certain nombre d’itinéraires. Et en fait, au final, le problème qu’on a, c’est qu’ils indiquent tellement bien les sentiers, qu’ils indiquent y compris les voies privées. Donc du coup, on s’est retrouvés souvent à l’intérieur des jardins des gens, à traverser des exploitations agricoles qui étaient fermées. Donc bref, on a eu plusieurs moments comme ça, où il a fallu négocier, discuter, mais bon c’est rigolo, ça fait partie du charme du voyage.
François Jourjon : D’accord, mais les fonds Google, il n’y a pas beaucoup d’indications dessus à part la topographie, les sentiers, les routes… Il n’y a pas tout ce qui est bâtiments et tout ça si ?
Mathieu Sabourin : Si si, il y a tout. Après en vision satellite, on peut…
François Jourjon : Ah oui, en vision satellite…
Mathieu Sabourin : Non non, c’est très bon, d’une manière générale, il y a énormément de choses, les chemins forestiers et pistes, mais aussi un certain nombre de sentiers qui sont indiqués. Vraiment, la difficulté réside dans le fait qu’il y a un certain nombre de sentiers qui sont indiqués sur les cartes, qui sont existants mais qui ne sont pas entretenus.
Ça c’est le problème qu’on a eu dans les états Baltes sur un certain nombre de sentiers forestiers. Et ensuite effectivement, il y a un certain nombre de voies qui sont des voies privées ou que des gens se sont privatisés. Donc voilà, on n’est pas comme sur les chemins de Saint Jacques (ndlr : Saint Jacques de Compostelle) où il y a eu des servitudes de passage qui ont été négociées par la fédération de randonnée. C’est sûr qu’on n’était pas sur les chemins balisés de ce type-là.
François Jourjon : D’accord.
Mathieu Sabourin : Après, globalement, ça fonctionne bien. Je pense que c’est quand même un gros apport des nouvelles technologies. Parce que nous, on a regardé les voyageurs au long cours qui étaient partis quelque années avant où il n’y avait pas les tablettes et toutes ces technologies là et on a vu qu’ils avaient beaucoup marché sur l’asphalte, le bitume, le long des grosses routes nationales. Et nous, on a plutôt réussi grâce aux nouvelles technologies, à éviter cet écueil là et à passer sur des chemins assez agréables la plupart du temps. Même si des fois on a fait un peu de route.
François Jourjon : Oui, j’imagine, c’est plus facile aussi quand tu ne sais pas plutôt que de tourner en rond sur des sentiers qui existent ou n’existent pas.
Julia Gaubert : Oui.
Mathieu Sabourin : Exactement.
François Jourjon : Et tout à l’heure, vous avez parlé de documentaire. Vous prévoyez de faire un documentaire sous quelle forme ? Vidéo ? Vous avez du matériel vidéo avec vous ?
Julia Gaubert : Oui, en fait l’Union européenne nous ont sponsorisés, je ne sais pas comment on dit, nous accompagne pour la réalisation de ce documentaire et a financé tout ce qui est audio/vidéo.
Donc, on a embarqué avec nous une caméra petite dimension mais qui a un assez bon format et surtout une très bonne qualité. Et l’objectif c’est de réaliser in fine, un 52 minutes sur notre aventure, sur cette Europe du quotidien, cette Europe des gens, cette Europe des territoires.
François Jourjon : Et vous avez improvisé ou vous aviez quelques notions de vidéo ?
Julia Gaubert : Alors, on a quand même essentiellement improvisé. On avait pris quelques conseils auprès de quelqu’un de ma famille qui travaille chez M6 et qui est caméraman. Donc on avait quelques petites notions avant de partir. C’est quelque chose qu’on a appris aussi beaucoup en regardant d’autres documentaires, les effets d’images, voilà, les effets de caméra. Et donc voilà, on est autodidacte là-dessus, on ne garantit pas qu’on soit bons, mais en tout cas on essaye de l’être.
François Jourjon : Ben ça peut être intéressant, on verra le résultat final. Et ça sera un documentaire que vous diffuserez sous quelle forme ? D’une manière privée ? C’est-à-dire que vous ? Une vidéo, quelque chose de payant avec quelqu’un vous aide à le vendre ? Ou vous n’avez pas encore défini ?
Julia Gaubert : On ne sait pas trop encore. Là on a quelques propositions. Nous, on ne sait pas encore ce qu’on va en faire. L’objectif initial était de le montrer dans des festivals de voyage au long cours.
François Jourjon : D’accord.
Julia Gaubert : C’est notre objectif, après on verra. On verra ce qu’il en est, on verra surtout si on arrive à sortir quelque chose de bien ou pas. Voilà.
François Jourjon : D’accord, d’accord, très bien. Et après, vous avez des idées après cette aventure ? Vous allez vous poser quelque part ? Vous aurez envie de repartir, vous ne savez pas ?
Julia Gaubert : Moi ce que j’aime dans notre voyage, c’est qu’il y a un début mais aussi une fin. Je serai contente de retourner à notre vie, pas d’avant, mais une vie plus « normale ». Ce qu’on va faire, je pense qu’on va reprendre nos activités mais pas de la même façon.
Et puis, entre le documentaire – parce qu’on veut également écrire un livre, notre histoire. Ça c’est post-voyage, ça va pas mal nous occuper en terme de temps, je pense qu’il faut bien compter un an après le retour. Donc de mi-Juin 2014 à mi-Juin 2015. Cet après voyage va être aussi important.
François Jourjon : Ca va peut-être permettre aussi de faire une transition entre la vie en voyage et la vie entre « normale ».
Julia Gaubert : C’est ça.
François Jourjon : Ca va peut-être permettre de voyager un petit peu tout en devenant sédentaire (rires)…
Julia Gaubert : C’est ça.
Mathieu Sabourin : Exactement.
François Jourjon : Et bien, merci en tout cas pour vos réponses à mes questions. Alors, je mettrai un lien vers votre blog sous l’interview, comme ça les personnes qui seront intéressées pourront vous suivre directement ou même voir – parce qu’il y a pas mal d’informations, il y a des photos. On peut voir où vous en êtes, combien de kilomètres vous avez faits. Donc si ça intéresse certaines personnes, ils pourront y aller directement. Merci en tout cas et puis bonne continuation.
Julia Gaubert : Merci beaucoup François.
Mathieu Sabourin : Merci.
[Interview] L’Europe des petits pas de Julia et Mathieu est un article de Randonner Malin, le blog avec des conseils pratiques et techniques pour la randonnée pédestre.