Red Universe Tome 1 Chapitre 23 Episode 16 "Humilité"
Une semaine passa, puis un mois. Je réprimai durement des frictions, prônant sans cesse notre nouveau catéchisme commun. C’est un des avantages intrinsèques aux religions, la possibilité d’en modifier à loisir l’interprétation, sinon le contenu, sans que personne y trouve à redire. Je dois cependant vous accorder que la présence des dieux « en personne », si j’ose dire, participa grandement à la pacification des deux civilisations. Je mutai au travers de mon empire des millions de foyers, imposant un brassage ethnoculturel, encourageant les accouplements et enfantements mixtes. Des temps à la gloire des deux croyances se juxtaposaient, allant jusqu’à partager des ressources ou des locaux où leurs représentants préparaient des célébrations communes.
Ceux de l’Exode allaient avoir plus de problèmes, ils ne possédaient pas mes connaissances intimes de chacune et chacun. Je tâchai de leur apporter le soutien nécessaire, en particulier grâce à un avatar, relayant ainsi Ma présence parmi mes adeptes.
L’heure du grand jour était venue. Nous organisâmes un nouveau Yesmaïl pour l’occasion, dont le succès ne se démentit pas. Le trio Arlington — Phil Goud — Adénor Kerichi y fit pour beaucoup, sacrifiant au rite malgré quelques réticences. Fabio Ouli m’apprit quelques astuces mentales pour accentuer la stimulation sexuelle de mon rayonnement. Je ne me lassai pas de découvrir l’étendue de ses connaissances psychiques : ce garçon est unique dans notre univers.
Transporteur 3 vint à moi chargé de trois-cent-vingt-deux-mille-sept-cent-cinquante-quatre âmes, il me quitta avec près de cent-mille de plus. Même si une partie des exodés s’étaient convertis à la religion de Ragnvald, force fut de constater que le mouvement inverse restait bien supérieur. Pire, je pouvais mesurer que sur les deux civilisations, les volontaires au départ vers Antares IV représentaient zéro virgule zéro zéro trois pour cent, d’où ce que j’appelais un « second exode », car ce furent bien deux-cent-mille Ragnvaliens qui rejoignirent Transporteur 3.
Alors que les nouveaux compresseurs dimensionnels propulsaient le glorieux engin et ses occupants vers leur destinée, mes calculateurs chauffaient déjà à revisiter les études sociales de mes mondes.
Avais-je par trop délaissé ma tâche d’empereur pour celle de dieu ces derniers temps ?
*
Transporteur 3, en route vers l’Exode
« Colonel Arlington, Fabio Ouli. D’ici trois bonds, nous atteindrons la position du reste de l’Exode. Je tiens à vous préciser que leur situation actuelle est désespérée et que nous devrons agir vite », lança l’avatar à la cantonade.
Du haut de son siège de commandement enfin retrouvé, Momumba Arlington se prit le visage et échappa un long soupir, tandis que Fabio observait, incrédule, la représentation de l’Empereur-Dieu. Sur un signe de tête de son chef, le capitaine Carrillo s’en alla quérir le « couple divin » pour une nouvelle aventure qui n’allait finalement pas leur laisser beaucoup de répits.
L’avatar de Godheim poursuivit :
L’Exode a subi de lourdes pertes lors d’une vaste attaque pirate à leur sortie de la Passe de Magellone. Vous en saurez plus d’ici peu. Retenez surtout qu’ils pénètrent sur le territoire de la République nalcoēhuale, un très puissant adversaire.
Va-t-on devoir se battre ? Mes hommes ne sont pas encore à l’aise avec vos nouveaux matériels, s’enquit prudemment Arlington.
Et je parie que ça va nécessiter mon aide, compléta Fabio, dont les épaules se voutèrent imperceptiblement.
Nous devons nous tenir prêts, en effet, mais il ne sera peut-être pas utile d’en arriver là. La flotte de Ragnvald a déjà préparé le terrain et plusieurs escouades de corvettes demeurent à proximité pour parer à tout besoin. Passeur, toi et moi allons nous réserver la plus importante partie du travail.
L’avatar expliqua sommairement le système de communication nalcoēhual, basé sur des liaisons psychiques associées à des capteurs-amplificateurs-transmetteurs. Ils étaient suffisamment robustes pour que l’Empereur-Dieu soit obligé de compromettre physiquement quelques relais dans un but d’espionnage…
…Mais avec ta puissance mentale, Passeur, nous pourrons les impressionner en brisant leurs défenses. Je ne doute pas de l’efficacité de cette stratégie sur eux. Acceptes-tu ?
Bien évidemment. C’est donc… le monde d’Artoc dans lequel nous nous rendons ? Un lieu empli uniquement d’une sorte de « bureau des affaires mentales » géant ?
L’avatar ne répondit pas tout de suite, semblant ainsi user des mêmes méthodes qu’Arlington pour préparer son audience.
Disons qu’un jour nous disserterons de l’origine réelle du pouvoir nommé « mental » et de ses utilisateurs. Mais, dans l’immédiat, je réponds par l’affirmative à cette question.
Momumba s’enfonça dans son siège, soupirant :
Pfff ! J’aimerais bien qu’on revienne à une période calme ou aucun pas n’entraine de conséquences incalculables…
Au même moment, l’entrée du centre de commandement s’ouvrit sur Carrillo, suivi de Phil et Adénor. Plusieurs opérateurs stoppèrent leur travail et mirent un genou à terre en psalmodiant la liturgie de rigueur.
*
Empereur-Dieu Godheim,
Monte-Circeo
Depuis l’antre de ma caverne, j’accompagnais l’Exode tout en poursuivant l’éternel rôle de berger pour mon peuple. Quel paradoxe que d’avoir soi-même créé un monstre, n’est-ce pas colonel Arlington ? Même si je lui accordais de n’avoir qu’amplifié l’existant.
Parce que tu n’as pas fait la même chose par le passé, Anton ?
Je sursautai, redécouvrant au passage cette sensation. D’où provenaient ces paroles qui résonnaient autour de ma représentation physique ?
Comme si tu ne le savais pas. Tu vois, à jouer aux dieux, on finit par perdre en vivacité…
Cette voix ? L’émotion m’étreint soudain ! Que de nouvelles sensations ces derniers temps !
FAISEUR ! TU ES DONC ENFIN VENU À MOI ?
Mais qui a dit que j’étais parti ? J’ai toujours été là, petite boule, tu ne voulais pas me remarquer, c’est différent.
Tu as bien changé, Anton… tu as réussi à perdre du poids, mais pas seulement. Tu essayes de jouer dans une cour un peu trop grande pour toi.
JE SUIS SATISFAIT D’ENTENDRE À NOUVEAU TA VOIX, FAISEUR. ELLE ME MANQUAIT.
Je tournai la tête à droite et à gauche, scrutai la caverne de tous mes senseurs possibles, amplifiai mon champ psychique sans rien trouver de l’origine de ces paroles. C’était une de ses méthodes pour dialoguer : IL était là et IL n’y était pas.
Le grand Empereur-Dieu qui nous fait un mélo pour ménagère au foyer, on aura tout vu. Ne va pas t’effondrer en larmes d’huile, hein ? C’est bon, ce n’est que moi.
CELA FAIT CINQ-CENTS LONGUES ANNÉES QUE JE ME PRÉPARE À CES RETROUVAILLES. LA SATISFACTION DÉPASSE SANS DOUTE MES MOTS. JE VOUDRAIS SAVOIR, FAISEUR, ES-TU ENCORE SUR RAGNVALD ?
Non. Tu t’es construit ton propre mausolée à la taille de ton égo. Quel que soit le nom que tu lui donnes, « empire » par exemple, ça reste l’arrière-cour négligeable d’un poulailler dans l’infini qui nous entoure. Mais tu le sais bien, hein ? Ce n’est pas comme si tu n’avais pas déjà connu tout cela comme ANCIEN Passeur ?
LA DURETÉ DE TES MOTS NE M’ATTEINT PAS, JE SUIS AU-DELÀ DE LA CRITIQUE, répondis-je au hasard de la voute. TOUT CELA ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR COMBATTRE LES TITANS.
Mouais… Jamais vu combattre quelqu’un en tapant une partie de cartes avec lui, si tu veux mon avis. Tu penses les ménager pour les prendre par surprise ? Mon pauvre vieux : tu crois qu’en trois-milliards d’années, on ne leur a pas déjà fait le coup ? Ils ne connaissent pas le temps, donc, techniquement, ils ont l’éternité -et l’expérience qui va avec- pour eux.
CERTES, MAIS MOQUER MES EFFORTS MASQUE TON ABSENCE DE SOLUTION. TON STATUQUO COUTE CHER AUX ÊTRES VIVANTS DE CETTE RÉALITÉ. POURQUOI DEVRAIENT-ILS PAYER TA SOI-DISANTE NEUTRALITÉ ?
Il ne répondit pas tout de suite. J’ai rapidement supposé par le passé que le duo Faiseur-Passeur n’était qu’un de ces aspects de l’ordre du Tout et que les Titans ne représentaient qu’une péripétie parmi d’autres.
Il existait, sur l’ancienne Terre, ce jeu que l’on nommait « les poupées russes », où l’une s’emboitait à l’intérieur d’une autre plus grande, elle même incrustée dans une troisième, dans un mouvement virtuellement sans fin. Que pouvait comprendre de l’ensemble celui qui était enfermé dans la première poupée, la plus petite et la plus profondément enfouie ?
C’est en gros l’idée, Anton. Tu vois, quand tu veux ! Accessoirement, je passais quand même pour te saluer et te remercier d’avoir pris la bonne décision.
Et puis… excuse-moi d’être un peu rude avec toi. On sait tous deux que ça ne part pas d’une mauvaise intention, mais, s’il te plait, reste en dehors de tout cela. La duplicité des « Titans » n’est plus à démontrer : ils me tendent des pièges aussi grossiers qu’inutiles et ça m’oblige à jouer les acrobates.
Ha, tiens ! Le coup du cirque dans la dimension blanche, j’en rigole encore ! Risible comment ils essayent de se faire passer pour de mignonnes petites créatures ! Énorme, dis-je.
CETTE MANIÈRE DE COMMUNIQUER AVEC MOI, PAR LE PASSEUR OU CE PHIL GOUD, MÊME SI ELLE ÉTAIT PRÉVISIBLE, M’A TOUT DE MÊME DÉÇU. NE POUVAIS-TU VENIR À MOI BIEN PLUS TÔT, COMME MAINTENANT ?
ET, PUISQUE TU PARLES D’AMUSEMENT, CET HUMAIN PUR AU CŒUR SIMPLE EST UN CLONE DE CE QUE JE FUS MOI-MÊME PAR LE PASSÉ. JE DOUTE QUE CE SOIT LE FRUIT DU HASARD.
J’entendis un rire fluté résonner au lointain.
Tu sais très bien ce qu’est vraiment le hasard. Quant à Philémon Goud… ben ouais, c’est toi dans ta jeunesse. On ne tourne pas une roue en s’intéressant au sillon tracé, mais à celui à venir. Je les choisis toujours ouverts, avec une foi profondément ancrée dans le futur (je précise que, dans ton cas, je ne t’avais pas choisi, sachant que tu étais le Passeur de l’époque. Mais oui, je t’aimais bien.)
Dernier détail, car je dois y aller : si j’ai glissé un peu lourdement des mots à ton intention, dans la bouche de mon Phil, jamais je ne me serais permis ça avec le Passeur. Il y a des limites à respecter, quand même
Je me raidis, les rouages de mon corps tendus à leur extrême.
QUE VEUX-TU DIRE ? QUI A COMMUNIQUÉ AVEC MOI, ALORS ?
Anton, Anton… Il t’a complètement roulé dans la farine. C’est super de se pavaner comme un dieu, quand on a un œil partout. Mais là, tu étais totalement aveugle et tu désirais me parler. Ce bon Fabio t’a donc offert une partie de poker menteur et a fait de toi son obligé. Pas un moment, tu n’as douté que je sois bien au bout de la ligne, et lui, malin comme un singe, il t’a bluffé.
Tu vois, petite boule ? Le Passeur t’a donné une mémorable leçon d’humilité. Sans utiliser aucune de ses possibilités innées, ni même un quelconque pouvoir mental des Titans, il s’est joué de toi avec sa simple intelligence humaine et tu es tombé dans le panneau.
À bon entendeur, j’y vais. À une prochaine, Anton !
*
Au centre de commandement de Transporteur 3, l’avatar s’interrompit soudain dans l’explication des préparatifs. Tous se tournèrent vers lui, mais celui-ci ne rendit son regard qu’à Fabio. Un hoquet fit sursauter le petit vieux, puis un second alors qu’il rentrait légèrement la tête dans les épaules. Quand soudain…
« Hé, hé, hé, HA, HA, HA, HA ! GNA, HA, HA, HA, HA, MOUHA, HA, HA, HA… »
Et simultanément, dans l’empire de Ragnvald, on vit et entendit rire tous les avatars et tous les écrans jusqu’au clignotement des plus infimes diodes, ce qu’aucune base de données n’avait jamais enregistré. L’effet dura plusieurs minutes, mettant les nerfs de tous les opérateurs à rude épreuve.
L’Empereur-Dieu submergeait tous les systèmes par un irrépressible fou rire.
FIN DU CHAPITRE 23
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Les génériques de début et de fin de ce chapitre ont été exceptionnellement créés à partir de "Grasslands" de "Ramzoid"
https://soundcloud.com/ramzoid/grasslands-1
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