Red Universe Tome 1 Chapitre 25 Episode 2 " Huate "

L’amiral Huate se tenait devant la fenêtre scellée donnant sur l’extérieur. Ti’ltchiti s’étendait sous ses yeux, du moins en partie. Depuis cette aile sécurisée de l’hôpital militaire, réservée aux cas requérant une protection spéciale, il dominait la partie inférieure de l’immense cité. D’un coup d’œil, le gradé put confirmer la présence d’au moins deux croiseurs moyens en orbite, preuve que ses ordres avaient été exécutés sans faille.
Suite à l’attentat sur Pepapaltec, tout le Cercle de Khabit avait été mis en état d’alerte. Les forces de sureté étaient déployées et, bien entendu, l’armée avait sorti son arsenal. Personne n’avait trouvé à redire au fait que plusieurs centaines de combattants bien équipés se retrouvaient, encerclant la capitale dans des vaisseaux de guerre. Si l’on ajoutait ceux présents en temps normal, un demi-millier de soldats stationnaient sur place, prêts à agir. Pourtant, ce n’était qu’une initiative personnelle de l’amiral, preuve que peu de gens qualifiés tenaient les rênes de la république.
Le haut gradé nalcoēhual laissa une main glisser sur son goitre à la peau foncée, rasé de frais. Ses yeux dorés transparaissaient très peu, enfoncés dans leurs larges orbites sombres, seules aspérités de son visage si glabre. Chauve, enserré dans un long uniforme strict peu ouvert aux décorations, l’amiral Huate était connu pour son activité sportive et la discipline qu’il imposait aux autres comme à lui-même. Depuis près de quatre cycles, il dirigeait ainsi la troupe, certains disaient d’une main de fer, lui parlait de rigueur ; de même déplorait-il un laisser-aller plus profond qui plongeait ses origines dans la société civile. Ce matin-là, n’avait-il pas apposé sa signature sur une circulaire punissant plus sévèrement la non-tenue des barrières psychiques ?
Le chef suprême des armées nalcoēhuales ne dépendait que du seul parlement, ce qui, finalement, lui autorisait une large autonomie. La politique n’étant jamais éloignée lorsque l’on se retrouvait aux responsabilités, il suivait avec divers sentiments l’évolution des relations internes à l’assemblée, désapprouvant la lâcheté plus présente que jamais des élus. Ce recul, face au groupe de vaisseaux au cœur de la république, avait représenté la goutte de trop dans l’esprit du militaire. Jamais, depuis la venue de son peuple dans cette partie de l’univers, un tel afflux d’étrangers n’avait été autorisé et pire encore, si c’était possible, nous avions affaire à des... humains. Les prédateurs arrivaient finalement en masse et ces palabres au parlement l’avaient empêché d’intervenir dès les premières heures, alors que sa flotte les tenait à portée. Il les suivait déjà sans faillir, ces poussives coques de métal rouillé, bien avant leur entrée dans l’espace nalcoēhual proprement dit, et n’attendait qu’un ordre pour les atomiser. Il ne vint que trop tard, Ragnvald s’étant interposé à la dernière minute.
La politique étrangère vis-à-vis de l’empire était, elle aussi, largement critiquable. Certes, Huate tenait compte de l’avancée technologique de l’Empereur-Dieu, mais il estimait qu’une attaque préventive au-delà des frontières de la zone de Khabit était nécessaire. Il fallait à la fois réduire la menace immédiate et montrer que le rapport de force n’était pas déséquilibré entre les deux puissances militaires de la région. Les Nalcoēhuals savaient se battre, depuis des milliers de cycles... déjà sur Veora, n’avaient-ils pas tenu la dragée haute à cette plèbe humaine ?
Un médecin s’approcha de lui et lui délivra un message psychique qu’il accepta : elle pouvait le recevoir. Huate tira le bas de sa veste pour en effacer les possibles plis et se dirigea, de son pas ferme coutumier, vers la porte indiquée.
La pièce était petite, d’un blanc immaculé et seuls raisonnaient les « bips » réguliers des appareils de contrôles vitaux. Derrière un rideau translucide se trouvait le lit connecté de la parlementaire Loxa. Elle était allongée, sans drap, le corps recouvert de bandages. Même ses yeux étaient protégés par un système de lunettes entretenant une pression plus élevée. Le peu de peau visible, au menton ou sur la cuisse, laissait apparaitre des amorces de brulures que le gradé expérimenté jugeait sérieuses. Cette nalcoēhuale avait échappé à la mort, mais de peu. La voix de Loxa monta alors dans son esprit.
Amiral Huate, je vous remercie d’avoir maintenu le rendez-vous. Je suis navré de vous accueillir dans ces conditions.
Madame. Vous me voyez désolé pour votre état actuel, j’espère que vous vous en remettrez rapidement, répondit-il, conscient que ce genre de blessure creuserait de profondes cicatrices.
Inutile de m’apitoyer, je sais ce qu’il en coute de se battre pour ses idéaux. Vous avez été lieutenant sous les ordres de mon père, je crois ? Vous connaissez les membres de ma famille, rien ne peut nous abattre.
Oui, madame, il fut mon mentor et il me manque encore énormément. Un brave parmi les braves. Si je puis faire quelque chose pour vous aider, n’hésitez pas à...
Justement. J’aimerais une discussion honnête avec vous !
L’autre se raidit imperceptiblement. Il n’avait pas exactement « maintenu leur rendez-vous » au sens où un message, reçu le jour précédent, lui avait signifié un simple changement de lieu. Vu la parenté de la parlementaire avec son ancien chef, Huate n’avait pas eu de raison particulière de refuser. Pourtant, son intuition lui soufflait, encore plus à présent, que la secrétaire générale du mouvement « extrême haut » ne désirait pas uniquement une visite de courtoisie. Le flux psychique reprit :
Puis-je échanger avec le chef des armées que vous êtes ? Je ne suis plus qu’une accidentée qui demande un peu d’assistance... au nom du peuple nalcoēhual.
Je n’ai pas l’habitude de parler autrement que franchement et je ne compte pas changer. Je tenais à vous prévenir.
Faites-le aujourd’hui comme demain, Amiral. C’est notre accord dorénavant, nous nous exprimons sans entrave. Allez-y, commencez.
Elle gémit en tournant légèrement son corps pour se placer face à l’officier. La souffrance... quelque chose qui touchait Huate et il en saisissait le message implicite, bien évidement.
Madame, je considère la présence de ces vaisseaux humains comme une menace et une humiliation pour notre armée et pour l’espèce nalcoēhuale elle-même. Nous pourrions les balayer en quelques minutes et montrer ainsi à Ragnvald que leurs intimidations ne tiennent pas.
Et moi, Amiral, l’interrompit Loxa, je considère que certains vieux parlementaires représentent une faiblesse dans la volonté de notre peuple. Ils frôlent même parfois la trahison en persuadant les autres, moins conscients que nous de la situation, de faire preuve d’aveuglement et de couardise. Voyez-vous où je veux en venir ?
Je le pense, madame.
Le grésillement du néon de la pièce sans hublot anima la poignée de secondes suivantes. Huate se demandait où allait bien l’entrainer Loxa, sur quelle pente les dirigeait-elle ? Ce n’était pas un piège, sa souffrance de victime était réelle et ses arguments connus voire même publiques. L’amiral ne venait pas simplement se réfugier dans une réunion amicale, mais converser avec une personne proche de ses propres opinions. Loxa inspira dans un sifflement trop bruyant, et reprit la discussion.
L’imposition, par l’empire de Ragnvald, d’un ambassadeur est une autre gifle de l’Empereur-Dieu. Il tente de normaliser nos relations dans l’espoir de se protéger d’une possible attaque.
Nous le tolérons, lui et son mépris depuis bien trop longtemps, si vous voulez mon avis, compléta Huate en maitrisant mal sa colère rentrée. Mais, malgré nos analyses et les preuves de nos services, les demandes de réactions n’ont jamais été suivies. Je le déplore et j’attendais qu’un... jour, une orientation nouvelle du parlement puisse ouvrir la voie à... plus de fermeté.
Portez-vous ces mêmes espoirs, Parlementaire ? Votre père les partageait en tout cas.
Un mélange de sautillements, de grognements maugréés et de sifflements aigus parcourut le corps étendu devant lui. C’était un ricanement douloureux de Loxa qui entrainait une recrudescence du rythme des signaux sonores. Sa voix était sincèrement plus enjouée, lorsqu’elle reprit son souffle ainsi que le contact :
« Amiral, savez-vous à quoi je dois ma survie ? À une table basse. Une table moulée dans du bronze massif et ornée d’or. Une table qui a contenu la violence de l’explosion. Toute la mousse nous englobant a brulé, d’où mon état, mais je vis encore.
J’y vois une image de la situation de notre république. Le corps est blessé, mais vous êtes la protection de métal, permanente et résistante. À nous deux, nous avons la possibilité de redonner l’éclat perdu dans les méandres nauséeux d’une certaine politique qui nous a conduits là où nous sommes. »
En l’écoutant développer son plan, Huate ne put retenir une bouffée de fierté qui se répandit jusqu’à la dernière fibre nerveuse de son être. Oui, cette parlementaire était bien la digne fille de son père.
« Une dernière chose, Amiral. J’ai conservé cette information secrète, mais je pense la divulguer bientôt. Je SAIS qui est le responsable de cet attentat et cela s’apparente à une déclaration de guerre. »


Soutenez Reduniverse - Prod: podshows, Réa: Raoulito, Relecture: Coupie, JMJ, VlM, Xelion, Acteurs : Tristan: narration, Mik180: Huate, Eloanne: Loxa, Derush: Zizooo, Montage: Ackim, Musiques: VG, Ian, Cleptoporte

Vous aimez Red Universe ou alors vous avez des critiques ou des remarques ? Laissez vos commentaires ici : http://reduniverse.fr/la-saga/episodes/
Merci à vous !