A l'époque, Nathalie avait une vie rangée: un boulot, des gamins, un compagnon qui ne vivait pas dans la même ville qu'elle. Elle avait du temps, et de l'ennui à dissiper. Elle s'est alors liée d'amitié avec Ulrich. Jusqu'à ce qu'il la trahisse. 

Ulrich est un blogueur musique, un type ultra «pointu», avec qui elle engage sur Internet une relation faite de mots, de lettres, de mails, de chats sur Gtalk.

Et Nathalie, alias Catnatt sur Internet, qui a toujours été passionnée de littérature, se réjouit de cette relation épistolaire. Ulrich la fait avancer sur de nouveaux territoires de pensées, elle l'admire, elle apprend. Elle se retrouve avec lui, et à côté de lui, dans la position de «l'être écrivant» que décrit le philosophe français Gaston Bachelard dans Le Droit de rêver«l’être écrivant est l’être le plus original qui soit, le moins passif des penseurs», parce qu' «on entend dans les mots plus qu’on ne voit dans les choses. Or écrire, c’est réfléchir aux mots, c’est entendre les mots avec toute leur résonance.»

Cette relation dont s'enivre Nathalie a quelque chose d'original: ils ne se voient jamais. Ulrich habite à l'étranger, d'abord en Irlande, d'où il est en partie originaire, puis à Seattle, où il a une maison de famille. Mais Catnatt n'a pas besoin de le voir: elle se nourrit de leurs échanges. Et s'enfonce dans une amitié très aristotélicienne, telle que Philosophie Magazine la décrivait dans un article de 2009:

«L’ami, c’est celui qui vous rend meilleur, qui vous permet de progresser dans l’existence, de développer une part de vous-même, qui, sans lui, serait restée inexploitée. Toute la philosophie d’Aristote repose sur la distinction entre ce qui est " en puissance" (potentiel) et ce qui est "en acte" (effectif), l’enjeu étant alors de savoir saisir les occasions pour "actualiser sa puissance ". L’ami est justement pensé comme une telle occasion. L’ami authentique ne l’est donc pas par ses qualités propres: c’est ma rencontre avec lui qui aura ou non le pouvoir de me rendre meilleur. En ce sens, ce n’est pas vraiment lui qui me rend meilleur, mais ma relation avec lui.»
Leur relation est formidable pendant un temps, jusqu'à ce que Catnatt se lasse. Et se rende compte que si la relation était pleine de sens, l'ami lui, ne l'était pas.

Cette histoire est signée Alexandre Mognol