Affichant une longueur impressionnante de 176 cm, ce tableau est le plus grand jamais réalisé par Paul Klee. Comme il en avait l’habitude à cette époque, Klee utilise ici du papier journal collé sur de la toile de jute. Employant une peinture à base de colle, il réalise directement sur le papier de larges bandes noires. Ensuite seulement, il passe sur ce support un apprêt de couleur blanche avant de peindre le fond en pastel avec un mélange de pigments et de colle d’amidon. Comme souvent dans ses œuvres ultimes, une structure de base est donnée, composée de larges bandes noires d’apparence massive. Celles-ci laissent toutefois suffisamment d’espace aux tons clairs pour s’affirmer sous forme d’accents autonomes. Les motifs graphiques noirs, qui apparaissent tantôt comme des raccourcis picturaux d’éléments figuratifs et tantôt comme les caractères d’un mystérieux alphabet, s’opposent aux surfaces de couleur dans des jeux de tension saisissants. Ces idéogrammes sont caractéristiques des œuvres tardives de Klee. Largement inspirés par les alphabets, les hiéroglyphes et les symboles d’origine diverse, ces signes naissent, comme Klee le décrira lui-même, de manière automatique, sans réflexion préalable et ne possèdent de ce fait pas de signification véritable. Les signes constituaient aux yeux de Klee une possibilité inédite de composition formelle sur la toile et sont aujourd’hui encore utilisés à cet effet dans l’art pictural. Parfois les signes conservent leur forme rudimentaire abstraite, parfois ils se retrouvent condensés pour dessiner les contours d’une figure. Le titre initial du tableau « L’île de Calypso » renvoie à la première idée, la thématisation du séjour d’Ulysse sur l’île de la nymphe Calypso. En cours de travail, Klee a élargi son propos, au-delà de la référence mythologique, à un message pictural plus ouvert. Le message est en fait tellement ouvert que l’on aurait tendance à y chercher des motifs de l’ordre du personnel et à interpréter cette œuvre à l’aune de la situation difficile dans laquelle le peintre se trouvait à l’époque. Certes, il faut regarder ce tableau comme un témoignage autobiographique mais sans oublier toutefois que Klee ne s’est jamais prononcé sur le message qu’il véhicule.Le centre du tableau est dominé par un visage blême aux contours noirs. Klee reprend le thème des visages et des masques dans de nombreuses réalisations, dessins ou peintures qui reflètent sa situation du moment. Conscient de l’approche de sa mort, Klee travaille toutefois en touches évocatrices plutôt qu’en images clairement autobiographiques.Le titre « Insula dulcamara » a des résonances exotiques, tout en renvoyant à l’antinomie du doux (lat.: dulcis) et de l’amer (amarus), antinomie soulignée par la douceur des couleurs contrastant avec le blanc éclatant d’un visage aux allures de tête de mort. Klee fait toutefois ici vraisemblablement référence en premier lieu à la médecine: solanum dulcamara est le nom latin de la douce-amère, une plante extrêmement toxique qui, employée comme plante médicinale, est anti-inflammatoire et stimule le métabolisme. Utilisée pour ses propriétés antirhumatismales, elle était capable de soulager les symptômes de la sclérodermie dont souffrait Klee. Les baies écarlates réparties sur le tableau et quelques petites feuilles brunes évoquent ainsi de manière assez directe la solanum dulcamara arrivée à maturité.