Mission encre noire Tome 30 Chapitre 353. Traverser la nuit par Hervé Le Corre paru en 2021 aux éditions Rivages/Noir. Il pleut sur Bordeaux, le commandant de police judiciaire Jourdan repense à la scène de crime du matin. Il revoit tout, la mort, le sang, les tripes. Depuis des mois, il traîne cette rage triste. Incapables de supporter plus longtemps ses absences répétées, sa femme et sa fille le quitte. Il faut s'y faire, un flic, c'est jamais là quand il faut, sauf pour ses enquêtes. Un tueur sévit dans les rues de la ville, Jourdan enquête avec son groupe sur des meurtres de femmes. Louise est une jeune maman de trente ans, esseulée avec son fils Sam. Suite à la mort subite de ses parents, sa vie a basculé brièvement dans l'alcool et la drogue. Fatalement, son passé la rattrape. Son ancien compagnon, un délinquant récidiviste dangereux, la harcèle et l'agresse. Dans ce décor de fin du monde, Jourdan goûte la rencontre de Louise avec ravissement. Hervé Le Corre, ce n'est pas la première fois, dresse un portrait sombre de sa ville de Bordeaux. Dans ce nouveau roman, loin des clichés habituels, l'auteur campe plutôt ses personnages du côté des ruelles sales et des quartiers défavorisés. Traverser la nuit est un drame social, violent, fascinant, orchestré par la plume habitée et concise de l'une des grandes voix du roman noir français contemporain. Hervé Le Corre est invité à Mission encre noire.

ExtraitDes cris le réveillent mais il garde les yeux fermés. deux hommes se querellent dans l'escalier en une langue qu'il ne connaît pas. Une porte grince puis claque. L'immeuble semble vibrer soudain, résonner de toutes ces respirations qui s'activent, de voix étouffées, de raclements de gorge, de toux, de musiques. Une femme rit, un petit enfant pleure. De l'eau cataracte dans une canalisation. Il écoute au plus loin qu'il peut l'écoulement épais et croit pouvoir suivre sa chute jusqu'à l'égout. Il imagine à cet instant toutes ces saletés qui sortent des corps, retenues pendant la nuit, et il sait bien que les humains se défont de leur fange, se purgent de ce qu'ils ont accumulé des heures durant, résultat de toutes leurs activités de la journée, puisque c'est à ça qu'ils se résument, de molles machines à fabriquer de la merde, il sait bien, lui, que tout le jour ils vaqueront sous leur masque avenant, drapés, enrobés dans leurs habits, déguisés en êtres civilisés, travestis pour le grand carnaval sordide, grands singes savants, guenons rusées, tâchant de dominer leur état de rut permanent, leur violence, leurs rêves de puissance, leurs envies de meurtre, ces pulsions d'animaux qu'ils nomment amour, désir, ambition, ces mots qu'ils utilisent comme du papier hygiénique pour torcher leurs turpitudes. Tous les matins ils vidangent la fosse septique qu'ils appliquent à remplir chaque jour, heure par heure, en feignant d'ignorer ce qui macère en eux

Mathilde ne dit rien par Tristan Saule paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Mathilde habite la place carrée, c'est un quartier populaire dans une ville moyenne de province française. Ancienne judoka de haut niveau, elle occupe un poste de travailleuse sociale dans l'immense bâtiment de béton du conseil départemental, perdu, au milieu d'un champ de betteraves. Chaque jour elle accueille la file des pauvres gens venus réclamer leur aide sociale. Lorsqu'elle découvre que ses voisins, Mohammed et Nadia sont menacés d'expulsion, elle comprend que les recours légaux ne suffiront pas. Mathilde décide d'employer les grands moyens. Tenue à distance depuis douze ans, elle l'ignore encore, cette décision va la replonger dans un passé douloureux. Mathilde ne dit rien est le premier volet d'une série de romans noirs très prometteuse. Méfiez-vous! La femme de quarante six ans, jadis ceinture noire, qui s'avance avec assurance sur le tatami de ce formidable thriller social n'a plus le choix. C'est ippon ou mourir. Je reçois Tristan Saule à Mission encre noire.

ExtraitMathilde traverse la place carrée. Il fait jour depuis longtemps. Les dealers sont rentrés se coucher. Les nuits sont encore fraîches à cette périodes de l'année et un vent mordant lui saisit les joues. Elle aime cette sensation, quand le soleil levant réchauffe sur sa peau le froid de la nuit qui meurt. Ça l'engourdit. Parfois, c'est comme si du givre se formait sur son visage. Elle s'imagine Inuit, ou exploratrice des pôles. Elle salue de la main Émile, qui fume une clope, en caleçon sur son balcon. Tout le monde sait que, depuis des mois, ça ne va pas fort dans son couple. Fatou lui interdit de fumer dans l'appartement, ce qu'elle a toléré des années durant. Alors Mathilde le croise là tous les matins, peu importe la météo. Elle se dit qu'elle doit voir les caleçons d'Émile plus souvent que sa propre femme. Elle remonte la rue qui longe le château d'eau, la mosquée et le parking du haut. Il n'y a pas d'éclat dans ses yeux. elle ne pense à rien. Les événements de la veille, la petite visite rendue à Gaëlle, ont la même consistance que ses rêves de fin du monde.»