Mission encre noire Tome 24 Chapitre 291. «L'arabe est en lui, comme il est en vous» - «Laisse-moi tranquille», c'est le genre de dialogue que vous propose Yara El-Ghadban avec le parution de Je suis Ariel Sharon paru en 2018 aux éditions Mémoire d'Encrier. Alors que le premier ministre Ariel Sharon sombre dans un comas profond à Tel Aviv le 04 janvier 2006, l'autrice se glisse entre son âme et sa peau en silence. Puis par le biais d'une voix féminine forte, la sienne et celle de tant d'autres femmes qui n'ont pas perdu la mémoire, Yara El-Ghadban magnétise son lectorat grâce à un texte jubilatoire. L'écriture se déguise et nous piège sous un charme, voluptueux, mélancolique voire séducteur. C'est pour mieux vous croquer chère-e-s lectrices/teurs ! Elle nous empresse à nous laisser glisser vers le monde fluide des rêves, seul moyen avoué, pour approcher le lion du désert, le roi d'Israël, le boucher de Beyrouth. Puisque les premières choses qu'on élimine dans les guerres et les situations d'oppression sont l'humanité, l'intimité, la féminité...revenons-y, franchissons le Styx à notre tour, rejoignons l'autrice, tutoyons l'improbable, l'ordinaire d'un homme controversé et détesté. Arik, mon beau Arik, dis-nous qui tu es ? Pourquoi y a-t-il tant de fusils entre nous ? Yara El-Ghadban est notre invitée ce soir pour nous présenter son époustouflant troisième roman.
Extrait: «Tu flottes. Liquide. C'est la caresse du vide. Enveloppe-toi du vide. Laisse-toi t'engloutir dans sa chaleur. Tu ne suffoqueras pas. Au contraire, tu respireras mieux, tu entendras mieux aussi. Et qui sait ? Retrouveras-tu tranquillement la vue et bientôt la parole. Alors, ne te cherche pas pour l'instant. Tu n'es plus. Tu meurs, Arik. Lentement. Calme, calme. C'est la vérité. La vérité ne blesse pas. Elle ne juge pas. Tu perds les sens, même celui de nommer les choses. Ton identité, ton âge, ton visage. Ce n,est pas grave. Je suis tout ce que tu n'es plus. Tes amours, tes haines, tes rêves, tes peurs, tes regrets. J'entends les mots, les doutes, les effrois. Je regarde. L'enfant, l'homme, son essor, sa chute.»
Feue de Ariane Lessard paru en 2018 aux éditions La mèche. Pour son premier roman, Ariane Lessard arrache des morceaux de bois et gratte la peinture du décors d'un simple village traverser par un long chemin de terre. Nous sommes au Québec, c'est la langue qui  le dit, pour preuve des dialogues parfois littéraires ou qui plus loin claquent en joual dans l'air lourd. La famille des Bellay dissimule un sombre secret, d'un type qui colle à la peau, aux vêtements et hante la forêt, jusqu'aux profondeurs boueuses de la rivière environnante. L'écriture talentueuse de l'autrice sent l'essence, les champs de moutarde, la sueur de l'amour marchand vite et mal fait, l'odeur de la poudre des révoltes contre les abus masculins de toutes sortes. Feue est un roman chorale poisseux. L'autrice ausculte les méandres d'une langue usée, fatiguée de subir, figée au coeur de la noirceur d'un passé rongé de ténèbres. Feue c'est l'émergence d'une voix féministe forte, inspirée, et diablement pénétrante. Empruntons la petite route de terre battue qui longe la rivière, j'accueille Ariane Lessard à Mission encre noire dans l'humidité, l'odeur de paille et du vieux bois.
Extrait: «Un camion, C'est énorme. J'ai l'impression de flâner au milieu des grandes dalles d'un immense cimetière. Il y a des véhicules qui possèdent un petit lit derrière le banc du chauffeur. Une grande personne doit se plier un peu les jambes pour bien entrer dans la couchette. Pour une petite, c'est bien. Il paraît qu'ils cachent de la drogue dans des charognes. Le camion est relié à la boîte par des fils tortillés. Peut-être une dizaine. Ça donne envie de les couper avec des ciseaux. Il y en a des bleus, des rouges. Ça me fait penser à cet espace entre le train et le premier wagon dans les films western que maman écoute, quand ils sautent et qu'ils tombent entre les deux. Un petit espace qui ne porte rien, qui ne fait que relier le véhicule au chargement. Petit endroit effrayant où on demeure coincé. Je pourrais me tenir la`et partir à toute vitesse. Ils trouvent un chien errant et puis ils lui bourrent les pattes.»