Mission encre noire Tome 37 Chapitre 400. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année qui s’annonce. Une année que je vous souhaite riche en découvertes d’auteurices et d’œuvres inspirantes. Mission encre noire repart pour une saison d’hiver, la 400 ème pour être précis. Correlieu de Sébastien La Rocque paru en 2022 aux éditions du Cheval d’août ouvre le bal. Ce roman nous invite à rejoindre, la Vallée-du-Richelieu, près de l’atelier du célèbre peintre du Mont-Saint-Hilaire Ozias Leduc,et  plus particulièrement dans celui de Guillaume Borduas, un vieil ébéniste approchant les 70 ans. Formé à la vieille école, il accepte, malgré ses vieux principes, de recevoir en stage, Florence, qui veut reprendre le métier après avoir subi un accident de travail. Recommandé par la CSST, elle doit faire ses preuves, ce retour aux machines est progressif, après avoir été touché par une lame rendu folle dingue à plus de quatre mille tours par minute. Même s’il a toujours travaillé seul, elle le rejoint dans le silence d’un matin blafard au milieu des grésillements d’un vieux poste de radio et l’odeur des planches brutes de pin, de chêne rouge, de peuplier, d’érable ou de merisier. Comme chaque vendredi, elle devra faire la connaissance et refaire le monde avec les vieux mononcles, fidèles en amitié, de Guillaume, et grands consommateurs de caisses de bière. C’est dans le miracle de cet atelier et de ses correspondances sensorielles que Florence s’invite à découvrir un monde éternel, qui se meurt, fait de gestes communs à apprendre, à harmoniser son souffle au rythme d’une respiration à contre-temps d’une époque à bout-de souffle. Avons-nous affaire à de la nostalgie ou à une volonté de vivre autrement, sans faire trop de concession à une modernité dévorante ? Toujours est-il que l’écho de 2012 et du printemps érable s’immisce parfois entre les ramures du Mont-Saint-Hilaire et les odeurs de gasoil de motorisés gigantesques en balades. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sébastien La Rocque.
Extrait: « Toutes les jeunes qui sortent de l'école d'ébénisterie veulent avoir une tite shop de même, faire des beaux meubles, pis gérer leurs p'tites affaires, mais je roule pas sur l'or, tsé. c'est ben beau, j'en ai eu, des stagiaires, mais y connaissent rien. Gars ou fille, même affaire. C'est qui qui va à ton école ? Des retraités qui se cherchent un hobby ou des jeunes qui savent pas quoi faire de leur corps. Va falloir que tu désapprennes ce que t'a appris. L'ébénisterie, c'est pas ça. J'ai pas de job à t'offrir, moi, mais je peux te montrer un métier. Il fouille sur la table, trouve une revue cachée sous une pile de chemises. S'arrêtant sur une page, il tapote une photo trois fois du doigt. - Checke ce que j'ai reçu dans malle. Canadian Interior. Qu'est-ce que t'as là dedans ? Un designer en habit, une designer en robe devant leurs créations, des bureaux en bois d'ingénierie. C'est du design en tabarnak, ça ! Du monde qui pense, qui dessine, that's it ! Toi pis moi, on existe pas ! »
Samedi de Christian Robert de Massy et Éric Pessan paru en 2022 aux éditions Moelle Graphik. Voici toute une expérience de lecture, avec ce premier album de bande dessinée de Christian Robert de Massy, accompagné par les mots d’Éric Pessan. Ce qui frappe avant tout, dans cette ambiance de fin du monde, c’est avant tout le silence... et le mouvement. Une jeune femme médecin doit régler son histoire avec la mystérieuse femme-tortue, son ex-amante. Elle va nous guider dans le labyrinthe d’une expérience intérieure, initiatique, pour reprendre le contrôle de sa propre vie. Le personnage principal est alors plongé dans un univers mi-réaliste mi fantastique où elle fait la rencontre de créatures et de personnages surprenant.e.s. Arrivera-t-elle à ses fins? L’énigme nous conduit vers les bas-fonds de sa psyché ou bien s’agit-il, par extension, de ceux de notre monde en déliquescence? Des dédales qui sont autant de chemins et de fausses pistes à déjouer pour éventuellement accéder à une mue salvatrice. Présenté sous un format inédit, à l’horizontale, près de 30 cm de long, cet album fascine et demeure une véritable belle découverte de fin d’année. J’accueille ce soir, à Mission encre noire, Christian Robert de Massy.
Extrait: « À tâtons, son pied trouve le premier échelon, puis le suivant, elle descend. Il lui est très vite impossible de retenir sa respiration, elle inspire de grandes bouffées d'air chanci. La question du vertige ne se pose pas, pas plus que celle d'une chute possible. Le danger n'est pas la descente ni le trou, mais bien ce qui l'attend en bas et qu'elle n'a jamais eu le courage d'affronter. Échelon après échelon, elle s'enfonce au plus profond de la terre. Très vite, elle perd la notion du temps, les minutes deviennent des heures, Alina s'étonnerait presque de ne pas ressentir de la fatigue. elle ne pense plus à rien, ses mains attrapent les barreaux rouillés, ses pieds s'assurent qu'un nouvel échelon se trouve sous le précédent. Le métal est froid au contact de sa peau, un peu humide.»