Mission encre noire Tome 24 Chapitre 299. Le syndrome de Takotsubo de Mireille Gagné paru en 2018 aux éditions Sémaphore. Le syndrome de Takotsubo, traduit littéralement par le piège à poulpe, est un phénomène de cardiomyopathie ou plus simplement un dysfonctionnement du muscle cardiaque. C'est un syndrome des coeur brisés, un phénomène observé par des cardiologues japonais dans les années 90. Mireille Gagné s'empare de cette singularité pour nourrir un recueil de dix-sept nouvelles tentaculaires. Le coeur bien accroché, il se peut que le vôtre se pâme devant tant d'honneur alloué. Méfiez-vous, ici, il se joue tour à tour, briseurs de rêve, là, bourreau aveugle ; ou encore, muscle de mémoire, en fuite prêt à exploser, voire même, désir de peau. Et si, pour certain.e.s, le pire reste à venir pour d'autres il y a l'espoir d'atteindre l'équilibre parfait. Bouleversante, baroque ou insolite, l'animalité s'immisce dans la poésie de l'autrice, alors que l'immensité est envahi par ces milliers d'oies blanches «coulant le ciel comme du sang dans les veines». Nous accueillons Mireille Gagné à Mission encre noire.
Extrait: «Il est né dans le mauvais corps, juste un peu de travers, juste assez pour se sentir de trop. Ni fille ni garçon, quelque part entre les deux, dans un fuseau horaire différent des autres, le coeur déjà brisé. Insulaire, il a grandi entouré d'eau et de commérages. Très tôt, il a compris qu'il devait mentir pour survivre, personnifier la force, jouer avec les siens, se chamailler, la guerre, avec la bouche, le bruit des mitraillettes, la chasse, il a réussi à incarner son personnage à la perfection, même si tout semblait sur le point de fendre à l'intérieur.»
Francoeur de Mathieu Blais paru en 2018 aux éditions Leméac. L'étoile a pleuré rose au coeur des oreilles de Francoeur lorsqu'il apprend que sa Rosemarie est tombé pour un Hells du chapitre de Sorel. C'est qu'il l'aime sa perle, assez pour défoncer le local du club de motard où elle travaille. Et de se retrouver en dedans au pénitencier de Saint-Anne-les-Bains. Et puis, lui, de Rimbaud, il s'en fout, c'est Jacques Mesrine qui l'habite. Il connaît tout de son livre de voyou, L'instinct de mort, à défaut d'en être un vrai. Et si Francoeur est l'homme saigné noir, à mort, qui gît sur le carrelage des douches c'est pour elle qu'il pleure, toujours. Bronco nous raconte son histoire, ce type incroyable, qui surjoue le dur à cuire. Pas trop fort, ça pourrait lui attirer des ennuis. Mathieu Blais est un observateur aigu des dépossédés, des espoirs cabossés dans un univers malsain, étouffant et clos. La bise qui siffle sur le gibet noir de l'amour hideux du baladin Francoeur est racontée au ras des hommes, usant de l'argot âpre des prisons. La poésie sèche de Mathieu Blais habille à merveille cet amour manchot, et nourri les plus belles fleurs (du mal) de son imagination. fortement conseillé.
Extrait: «C'était un des gars de la D qui tiquait sur un détail, semblait même s'étonner qu'une merde comme Francoeur puisse un jour avoir eu du succès en amour. Et, comme les gars de la D, je me crissais pas mal de son histoire de plotte. Mais on avait écouté, écouté jusqu'au bout. Il racontait comme si la terre allait s'ouvrir sous lui et que tout le feu de l'enfer allait venir lui lécher le cul et les couilles. francoeur n'a pas répondu de vive voix, mais il a pris un chandail dans un des piles et il l'a étendu sur comptoir. Il y avait une tâche de café dans le grincement et le claquement des machines, à l'abri du regard des screws, il a simplement passé le plat de sa main très lentement sur la tâche qu'on a tous vue disparaître. Et je crois bien avoir vu un gars de la D se signer, alors que tous nos visages s'illuminaient itou, comme le visage de sa Rosemarie ce jour-là. Et à partir de là, à partir de ce moment précis, la légende de Francoeur a commencé à se fixer plus solidement dans les murs de Sainte-Anne-les-Bains. Et les problèmes, à lui pendre au bout du nez.»
Les villes de papier de Dominique Fortier paru en 2018 aux éditions Alto. La «dame en blanc», Emily Dickinson est né à Amherst en 1830 dans le Massachusetts. Elle n'aura publié de son vivant, qu'une dizaine de poèmes et certains de façon anonymes. Reconnu comme un des autrices les plus importantes du dix-neuvième siècle, Emily habite son monde de son salon face à sa fenêtre. même si elle trouve le monde noir et compliqué, elle passe de longues heures, dans sa solitude, décrire sur ses pages blanches tout ce qui n'existe pas encore des émotions et des territoires intimes qui peuplent son crâne. Dominique Fortier prend soin de rassembler des effluves d'il y a un siècle et demi pour peindre un portrait délicat et vibrant cultivé à même certains épisodes de la vie de la poète ou d'extraits de sa correspondance. L'autrice capture avec grâce et simplicité, la flamme poétique qui éclaire ses écrits et son mythe. Autrement dit, il se peut que vous humiez le parfum suave du troène, celui de la menthe ou du jasmin, au long de votre lecture. C'est de cette encre qu' Emily Dickinson a nourri ses livres. Dominique Fortier en dispose, ici, quelques spécimens rares choisi à même ses souvenirs.
Extrait: «Les rayons d'or déferlent en coulées de miel par la fenêtre. La lumière d'après-midi est si épaisse qu'Emily a l'impression d'être une abeille prise dans de l'ambre. Dans la maisonnée Dickinson, chacun vaque à ses affaires. Père se prépare en vue d'une rencontre avec un client important ; Mère est très occupée par ses migraines ; Austin repasse sa leçon de grammaire ; tandis qu'Emily, là-haut dans sa chambre, écrit une lettre à quelqu'un qui n'existe pas. Si elle a assez de talent, il finira par apparaître. Les mots sont de fragiles créatures à épingler sur le papier. Ils volent dans la chambre comme des papillons. Ou bien ce sont des mites échappées des lainages - des papillons à qui manquent la couleur et l'esprit d'aventure.»