Mission encre noire Tome 36 Chapitre 397. Un homme et ses chiens par Marc Séguin paru en 2022 aux éditions Leméac. Que faut-il donc pour qu'un homme se dise presque heureux ? Dans sa vie, il a eu ses chiens, Mujo son premier, il avait sept ans, son confident. Easter, Goose et Maya suivront. Dès ses 4 ans, il a souhaité la fin du monde. Ne sachant trop quoi faire de cette euphorie soudaine, il détruit ses modèles complexes pour pouvoir les reconstruire. Plus tard, il fuira le monde et ses conventions à travers les drogues, puis les livres. Il aura connu l’amour, à plusieurs reprises, malgré sa sauvagerie. Sans cynisme, il constatera son incapacité à partager son quotidien bien longtemps. Ce qu'il cherche est plus grand que soi, une façon de vivre qui pourrait taire sa colère intérieure. Il restera à Anticosti plusieurs années, puis sur l’île aux Naufrages. Il deviendra guide de chasse, avec ses chiens, pour accompagner de riches américains, des français ou des anglais. Néanmoins, la question demeure: que faire de ses forces obscures qui le bousculent ? Comment apaiser ses rapports amoureux ? Marc Séguin nous présente le portrait tout en nuances d’un homme qui s’inscrit en rupture de la société. Lui qui aimerait tant ajouter un chapitre de bonheur véritable à l’histoire de sa vie, même s’il juge le quotidien définitivement trop triste. Pourtant si l’humanité court à sa perte, à quoi cela sert-il de vouloir encore aimer, pour de vrai, en grand, jusqu’à la douleur peut-être? Si par un ciel clair, il est encore possible de voir des étoiles filantes aujourd’hui, parfois elle nous attire comme un mauvais rêve, loin du vide. Pour nous signifier que nous ne sommes pas seul au monde. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire Marc Séguin.
Extrait:« Belle fille Easter ! Donne !» Et la chienne ouvrait la gueule pour laisser tomber sa quête, à bout de souffle, couverte de vase ou mouillée jusqu'au os, prête à recommencer. Avec dans les yeux un appel passionné et inconditionnel. Elle retournait s'asseoir au pied de l'homme à scruter le ciel et les moindres mouvements de son monde. Capable de déceler la nervosité des chasseurs. Aux aguets de tout possible. Avec l'idée certaine que son comportement appelait les oiseaux à tomber du ciel pour faire plaisir à son maître. La chienne regardait les yeux des guides et sentait l'exaltation. « Y a plus de vérités dans le désir que dans les faits», avait répondu Clara quand l'homme lui avait demandé ce qu'elle aimait le plus de son travail d'écriture. La femme préférait l'écriture du livre à son existence personnelle. Easter avait les yeux de Clara Sauvage en cette journée grise d'octobre. Pâles et gris, presque bleus. Du mauvais temps demain encore. Un chasseur avait un soir dit à l'homme qu'il aurait souhaité une seule fois dans sa vie être regardé comme sa chienne le regardait. « Toutes races confondues.» »
L’angoisse d’être à jeun par Sara Robinson paru en 2022 aux éditions Triptyque. Esmeralda est constamment défoncée. Né de l’autre côté de la rivière des outaouais, elle vit dans une maison du Vieux-Hull avec sa grand-mère et sa tante handicapée. À force de consommer trop d’amphétamines, l’autrice endosse le personnage de Notre-Dame de Paris. Souffrant d’un syndrome de la personnalité limite, cette Esmeralda 2.0 décide d’écrire un roman pour avoir l’impression d’exister. Mais quoi écrire? Elle tape fort sur le clavier, Bukowski en fond d’écran, «find what you love and let it kill you». Décidément très attachée à l'oeuvre de Victor Hugo, Esmeralda s’attarde à parodier sa cour des miracles, ses protagonistes, pour exprimer avec panache, ses angoisses d’existence, ses nuits blanches, ses histoires d’amour fuckées, et l’héritage douloureux d’une adolescence vécue aux côté d’une mère intrusive. C’est avec un humour dévastateur que la narratrice nous conte sa passion amoureuse à sens unique pour Phoebus, un barman de seize ans son aîné, ses relations quasi incestueuses avec son meilleur ami Quasimodo, comme ses tentatives pour faire chavirer le cœur chaste de Frollo. Si sa démarche peut paraître puérile et pleine de poésie de cul, c’est dans le texte, attachez vos tuques, le roman se lit ligoté à la verve magistrale de sa narratrice, un verre de fort dans une main, un pétard à mèche allumé dans l’autre. Ça s’écoute fort, bien calé dans son fauteuil. Tu m’aimes-tu et boom boom de Richard Desjardins qui vibre quelque part dans la pièce. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara Robinson.
Extrait:« Si vous avez lu Notre-Dame de Paris, vous vous rappelez sans doute le chapitre fucking plate que Victor Hugo a intitulé «Paris à vol d'oiseau». C'est pénible, il faut énormément de volonté et pas grand-chose d'important à gérer pour passer à travers. C'est long. C'est très, très long. C'est sûr que blabla ils n'avaient pas le cinéma à l'époque pour permettre de visualiser le décor dans lequel se déroulent les événements, blabla il faut tout remettre dans son contexte historique sinon c'est laid. Je soupçonne néanmoins Victor d'avoir signé pour un certain nombre de pages et d'avoir rajouté le chapitre «Paris à vol d'oiseau» APRÈS que presque tous les personnages sont morts, tellement c'est dull. Anyways, il décrit avec une minutie incontestable le Paris médiéval dans lequel évolueront les tragiques événements et, j'en conviens, ça mérite d'être mentionné, ne serait-ce que sur le plan historique. Mais tabarnac, est-ce réellement nécessaire de décrire la grosseur des corniches, la manières dont les vignes se rattachent aux barreaux de fer forgé encadrant les escaliers qui montent vers une façade de marbre? Qu'un oiseau ait été, à ce moment-là, en train de pondre un oeuf dans une de ces bien baroques corniches pendant qu'un villageois avec trois dents dans la yeule se crossait dans une chaumière aux murs de pierre, est-ce qu'on a besoin de le savoir ? Non. On s'en crisse.»