Mission Encre Noire Tome 15 Chapitre 206 Aujourd’hui à DésOrienté, Jean-Pierre vous parle de Hédi Kaddour avec son tout dernier roman Les Prépondérants paru dernièrement aux éditions Gallimard. Au printemps 1922, des Américains d’Hollywood viennent tourner un film à Nahbès, une petite ville du Maghreb. Ce choc de modernité avive les conflits entre notables traditionnels, colons français et jeunes nationalistes épris d’indépendance. Oeuvre magistrale, elle s’est méritée le Grand Prix de l’Académie française et le prix Jean-Freustrié, en plus d’être parmi les favoris du Prix Goncourt 2015. 

Extrait:

 À la fin du printemps 1922, à Nahbès, avenue Jules-Ferry, Rania avait assisté à l’arrivée soudaine d’une troupe d’étrangers bruyants qui conduisaient des voitures plus belles que celles des colons français, des décapotables blanches avec d’énormes roues à rayons d’acier et des phares gros comme des têtes de cheval […] c’étaient des Américains, ils venaient tourner un film, Le guerrier des sables. Elle était fascinée, et hostile, regardait en silence, se disait ce sont les gens des temps qui viennent… mais ils ne viennent pas comme viennent des voyageurs à qui l’on peut dire « sois le bienvenu » … mais pas non plus comme sont venus les Français, miel ennâr ‘ala lkabid, comme les flammes sur le foie… pourquoi est-ce que je les regarde? parce que les temps qui viennent n’ont rien d’autre à m’offrir? comment s’appelle cette voiture? je la regarde, j’accepte qu’elle soit là… et ces femmes comment ont-elles fait? est-ce que j’ai envie de devenir ce que je regarde, d’avoir les jambes nues et de taper dans le dos d’un homme en riant? en pleine rue? en pleine rue peut-être pas. 

En deuxième partie, Éric a choisi de partir pour Israel, sur La route de Beit Zera de Hubert Mingarelli paru aux éditions stock en 2015. Un loup solitaire vit avec sa chienne vieillissante dans une maison isolée près des bois. Son fils, forcé de s'exiler à l'autre bout du monde lui manque. Il lui écrit, chaque jour, lui raconte sa solitude. Malgré qu'il parvienne à lui taire ses angoisses, il espère par dessus tout pouvoir le rejoindre. Pourtant, la visite fortuite d'un jeune garçon, qui s'attache peu à peu à la chienne, pourrait modifier la donne.

Roman de la solitude, livre de la paternité et de la transmission, Hubert Mingarelli évoque avec finesse la question de la séparation d'un père et de son fils, avec en toile de fond celle de deux peuples qui s'affontent sans cesse.

Extrait:

À présent, Amghar quittait de lui-même la lisière et venait s'asseoir sur les marches de la véranda. Il n'attendait pas que Stépan le lui ait dit. En réalité ce n'était pas entièrement de lui-même qu'il venait. Lorsque Stépan et la chienne rentraient de la baraque le soir, celle-ci trottait vers lui en l'apercevant devant la lisière. Il la caressait un moment. Puis elle se dirigeait vers la véranda et s'y couchait, et Amghar la suivait et s'asseyait à côté d'elle. Stépan pendant ce temps buvait au robinet et se passait de l'eau sur les yeux, puis il ressortait. Un soir, il n'alla pas jusqu'au fauteuil, il n'alla pas plus loin que la porte, il posa une épaule contre la montant, observa un moment Amghar, et lui dit:

  • Pourquoi tu viens ? Les Arabes ont peur des chiens.