Mission encre noire Tome 22 Chapitre 270. Je vous présente mes meilleurs voeux pour l'année 2018. Janvier débute avec ce qui va sans doute devenir un classique du polar: L'année du Lion de Deon Meyer paru en 2017 aux éditions du Seuil. Écrit en afrikaans et en anglais, le roman, traduit par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert se situe en Afrique du sud entre le désert du Karoo et le fleuve Orange. Nicolas (le narrateur) fait le récit de l'assassinat de son père, Willem Storm. Ils comptent parmi les rares survivant d'une fièvre qui a décimé 95 % de la population mondiale. La catastrophe a provoqué de nombreuses réaction en chaîne. Chez les humains, c'est la loi de la jungle. Pourtant Willem Storm est convaincu de pouvoir bâtir un monde meilleur avec les rescapés de ce cataclysme. Malgré que la prose soit aussi rêche et aride que la majesté du paysage, l'espoir demeure. La vision de Deon Meyer n'est pas désespérée, les communautés cherchent à se reconstruire. Il y beaucoup d'humanité dans cet ambitieux projet, qui se traduit par un esprit de résistance et de solidarité. L'année du Lion est un classique en devenir, qui a l'image du continent africain, (et de l'Afrique du sud en particulier) rugit de rage et de fureur. C'est un livre qu'on ne peut pas lâcher aussi facilement. Il finira bien par trouver le chemin de votre bibliothèque, à côté de La route de Cormac McCarthy, mais pas pour les mêmes raisons.
Extrait: « Je revois ces événements avec du recul. L'importance et la signification de cette scène ne me frapperont que des années plus tard. Ce jour-là, je me rendais déjà compte que c'était un moment historique, autant qu'un gosse de treize ans, affamé de compagnie, de camarades de son âge, pouvait le ressentir. Je ne réaliserais que plus tard le véritable poids du moment et des personnes impliquées. Le car de luxe est déjà garé au milieu de la rue quand j'arrive. Deux hommes descendent et avancent vers Père et Hennie As, Domingo, Mélinda Swanevelder, Béryl et les seize enfants qui les attendent dans Proteastraat. Le premier homme est âgé, il a les cheveux blancs et porte une toge blanche avec une sorte de châle doré et un chapeau bizarre. Dans sa main droite il tient une houlette en bois argenté. De la gauche, il s'appuie sur le bras d'un homme plus jeune, très impressionnant, plus grand que tous les autres et large de poitrine. Voilà ce que j'observe, ce que j'essaie de marquer dans ma mémoire pour pouvoir le raconter un jour, pour pouvoir dire que j'étais présent, que j'ai participé à cet événement. »
New Moon, Café de nuit joyeux de David Dufresne paru en 2017 aux éditions du Seuil. Paris la nuit c'est fini/Paris va crever d'ennui/Paris se meurt rendez lui/Arletty. Et si Pigalle nous était conté ? C'est le pari réussi de David Dufresne. L'auteur se retourne sur son passé, il arrive dans le quartier le plus chaud de Paris en 1988, il a 20 ans. Le New Moon est le plus grand des petits clubs rock parisiens. On y croise régulièrement la crème de la scène du rock alternatif, la Mano Negra en tête. 106 m2 de bonheur et d'énergie pure qui dissimule une histoire riche et palpitante à l'image du quartier. Ouvert en 1896 sous le nom de La feuille de vigne, l'endroit changera plusieurs fois de nom et de style. David Dufresne nous offre un livre déroutant au croisement du polar, du docu/fiction et du récit historique. Excellement bien documenté, vous ne perdrez rien de l'enquête autour du lieu mythique. Vous y croiserez Manu Chao en terrasse du New Moon, Virginie Despente, son premier manuscrit sous le bras, Cole Porter, Degas, Manet...et si une nouvelle forme de journalisme était né ? Depuis 2004, le New Moon a rendu les armes à l'embourgeoisement, une épicerie bio patronne désormais sur la rue Pigalle. 
Extrait: « Le Bricktop's fut le premier des cabarets de Pigalle à servir le whisky à table - jusqu'ici, on ne le faisait qu'au bar, il fallait se déplacer pour cette vulgaire boisson. La maîtresse des lieux y perdait le chic du champagne exclusif, mais elle y gagnait les écrivains. Et ils allaient se précipiter. La première fois que John Steinbeck était venu,ça avait mal commencé. Il avait dû envoyer un taxi de roses à Brick pour s'excuser de son comportement (Il ajoutera plus tard à ses fleurs ces mots: « Brick, chaque fois que tu chantes «Embraceable You», tu m'enlèves vingt ans de ma vie d'homme »). Hemingway, aussi, traînait dans les parages ; comme F. Scott Fitzgerald qui met en scène un de ses héros de Retour à Babylone devant le Bricktop's, où «il avait passé tant de temps et dépensé tant d'argent».»
Le retour du Gang d'Edward Abbey paru en 2017 aux éditions Gallmeister dans la collection Nature Writing. Le Gang de la clé à molette est un livre culte. Un best seller des éditions Gallmeister paru en 2013 et illustré par Crumb. Edward Abbey, décédé en 1989, a été inhumé dans le désert, un lieu encore tenu secret aujourd'hui. Le retour du Gang est la touche finale d'une oeuvre riche, qui relève le défi de présenter le combat écologiste de l'auteur. Le gang de la clé à molette est composé de quatre personnages: de Bonnie Abbzug compagne du Doc Sarvis, médecin dans la vie, de Seldom Smith, un membre de l'église mormone et George Hayduke, vétéran du Vietnam, passionné d'armes à feu, vivant en renégat dans une grotte dans le désert avec pour seul compagnon, un féroce crotale. C'est lui qui se charge de remobiliser la troupe contre l'invasion de l'excavateur géant: Goliath. Pour sauver les déserts de l'ouest américain tous les moyens sont bons. L'auteur publie ici, un manifeste de résistance, drôle et cynique. Edward Abbey se place déjà comme une influence majeure et son style plutôt explosif est à découvrir.
Extrait: « Silence. Hayducke crache par terre. Il lève les yeux et les plante dans ceux de Seldom, l'air incapable de comprendre ou de croire ou même d'entendre clairement ce que son vieux pote lui dit. Tout ce que Seldom voit du regard d'hayducke sont ces deux petits points rouges, comme les diodes de mise sous tension d'une mystérieuse machine nocturne. Comme deux tisons luisant dans un feu qui se meurt. Comme...comme les faibles feux arrières d'un train fou qui s'en va, au loin, pour ne jamais revenir. Un simple souffle de réalité peut éteindre, pour toujours, d'un moment à l'autre, ces deux rubis d'espoir. »
Naissance d'une jungle de Nancy Huston paru en 2017 aux éditions de l'Aube collection Le Un en livre. Le Un est un journal d'enquête et d'idées, indépendant, sans publicité qui rassemble sous la direction de l'écrivain Éric Fottorino, chaque semaine des écrivains, artistes, journaliste et des chercheurs, pour éclairer sur un thème en particulier lié à l'actualité. Vous connaissez sans doute déjà la plume parfois acérée de l'écrivaine. Ses prises de positions, au risque de déplaire, permettent le plus souvent d'insuffler une nouvelle dynamique dans les débats. Nancy Huston tire le signal d'alarme sur les dérives de la pensée dominante, primitive, qui a pris le pouvoir un peu partout et particulièrement aux USA. On appelle cela le règne de la jungle. Au fil de la lecture des cinq textes disponibles dans cet ouvrage, l'autrice interroge notre capacité à nous décentrer, pour si possible déplacer notre point de vue sur le monde.
Extrait: « Aujourd'hui, leur prolixité m'épuise. Tant d'arrogance, tant d'agressivité! Comment font-ils pour ne pas entendre leur propre morgue? Regardez ceux qui, derrière les guichets des maries, postes et administrations, accueillent les citoyens: c'était bien la peine de faire la Révolution pour se voir encore traité ainsi de haut! Véritablement elle est guindée cette langue française, et induit des attitudes guindées. »